PROTEGOR : Maître de Montbrial, votre conférence sur la légitime défense fait un sacré buzz sur le net. Tout le monde connait le concept de « légitime défense » et sait que la loi prévoit ce principe, mais il y a aussi cette image en France que la légitime défense n’est pas facile à prouver et que l’on peut facilement passer de victime à agresseur. Au final, peu de nos concitoyens ont les idées claires sur la légitime défense. Comment résumeriez-vous ce qu’est la légitime défense en France ?

Thibault de Montbrial : La légitime défense consiste à accomplir des actes physiques de défense de sa personne ou d’autrui, face à une atteinte à l’intégrité physique qui doit elle-même être illégitime (la légitime défense est impossible contre une interpellation menée par des policiers par exemple); L’acte de défense sera légitime si son auteur peut démontrer qu’il était (1) nécessaire, c’est à dire l’unique moyen de se protéger contre une atteinte non pas éventuelle mais bien réelle et immédiate, et (2) proportionné à l’attaque à laquelle il répond. Il n’a évidemment rien à voir avec la justice privée ou la vengeance, qui impliquent une violence exercée postérieurement à une agression, et qui est bien entendu illégale.

PROTEGOR : Des différents critères d’appréciation de la légitime défense, lesquels sont les plus compliqués à démontrer face à un juge ?

Thibault de Montbrial : La difficulté ne tient pas tant aux critères, qu’à la profonde méconnaissance qu’ont de trop nombreux praticiens (magistrats, mais aussi avocats) de la réalité concrète pour les apprécier de façon réaliste. Il sera ainsi essentiel quelle que soit la situation pratique dans laquelle la légitime défense est invoquée, d’être en mesure d’expliquer en détail les raisons pour lesquelles on a considéré qu’il existait une menace immédiate sur sa vie ou sur celle d’autrui, et les raisons pour lesquelles les différents actes de violence qu’on a pu légitimement engager ont duré jusqu’à ce que la menace ait effectivement cessé.

A cet égard, mon expérience professionnelle me conduit à militer pour une prise en compte du « temps global de l’action » pour apprécier l’immédiateté de la menace, et sortir de cette exigence actuelle absurde qui consiste à demander à une personne de bonne foi, qui s’est soudain trouvée à un péril vital dans un état de stress extrême, d’être en mesure de justifier, quart de seconde par quart de seconde, de la légitimité de ses actes, ce qui est de surcroît rendu plus compliqué encore par les questions de stress post-traumatique que l’on observe bien souvent chez les personnes contraintes de se défendre dans ces conditions.

PROTEGOR : La loi prévoit une proportion du moyen employé face à l’attaque, sans plus de précision. Des expériences & jurisprudences, une hiérarchisation des « moyens employés » s’est-elle créée ? Comment un magistrat détermine-t-il si l’utilisation de tel moyen était mesuré ou démesuré face à telle menace ?

Thibault de Montbrial : Il n’existe aucune hiérarchie des « moyens employés ». Contrairement à une idée répandue, l’acte de défense pourra être considéré comme légitime, même avec une arme détenue de façon illégale : dans une telle hypothèse, la personne qui s’est défendue pourra paradoxalement être mise hors de cause pour les conséquences de son acte de défense, et parallèlement être condamnée pour détention ou port illégal de l’arme qui lui aura permis un tel acte. Attention, ce rappel juridique ne constitue pas une incitation à se promener avec des armes dont je rappelle que le port interdit expose à des sanctions pénales sévères ! Mais pour répondre strictement à la question de la proportionnalité du moyen employé, le juge appréciera très concrètement le rapport des moyens en présence afin de déterminer si l’acte de défense a rempli cette exigence de proportion. Là encore cependant, l’appréciation des magistrats dépendra de leur bonne connaissance concrète des situations de violence. Parmi de nombreux exemples concrets, je rappelle ainsi qu’un agresseur armé d’un couteau l’emportera sur un individu portant une arme à feu à la ceinture, et ce jusqu’à une distance supérieure à sept mètres.

PROTEGOR : Mais alors, faut-il ou pas utiliser des accessoires de défense, comme une bombe lacrymogène, une matraque telescopique, une lampe tactique… ?

Thibault de Montbrial : Rendez-vous compte que, en 1789, le Comte de Mirabeau avait proposé au comité de rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme, d’y insérer l’article suivant : « Tout citoyen a le droit d’avoir chez lui des armes et de s’en servir, soit pour la défense commune, soit pour sa propre défense, contre toute agression illégale qui mettrait en péril la vie, les membres ou la liberté d’un ou plusieurs citoyens ». Et, si le « comité des cinq » a refusé d’intégrer cet article, ce n’est pas en raison d’un prétendu risque pour l’ordre public mais au contraire parce qu’il a été considéré à l’unanimité qu’un tel rappel était inutile puisque « le droit déclaré dans l’article non retenu est évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile ». Imaginez que cet article, qui paraissait tellement évident à l’époque que l’on a pas cru devoir l’adopter, figure aujourd’hui dans le texte de base de notre bloc de constitutionnalité : nous aurions notre second amendement à nous et le problème serait en très grande partie réglé.

Puisque tel n’et pas le cas, je ne peux que vous répéter que la légitimité de l’acte de défense est indifférente à la légalité du port de l’outil qui l’a permis. Il va cependant de soi que si vous êtes contrôlé avec une matraque télescopique, vous risquez des ennuis certains (la politique actuelle du Parquet de Paris consiste à déférer tout porteur d’un tel objet) ; c’est pourquoi, je préconise le port en EDC d’accessoires qui ne sont pas interdits, tels que lampe, porte-clef ou stylo. Un fidèle lecteur de PROTEGOR trouvera facilement plusieurs modèles qui devraient lui convenir !

PROTEGOR : Si l’un de nos lecteurs venait à être arrêté dans le cadre d’une situation de légitime défense, quels conseils lui donneriez-vous dans les premières minutes ?

Thibault de Montbrial : Il est absolument essentiel de montrer sa bonne foi : ne surtout pas fuir après l’acte de défense ; appeler aussitôt les secours pour que des soins puissent, si nécessaire, être apportés à votre agresseur une fois la menace circonscrite… Ensuite, expliquer immédiatement aux autorités les raisons pour lesquelles vous avez légitimement pu croire être confronté à un risque vital, et bien souligner que les gestes nécessaires à votre défense ont cessé, aussitôt que vous avez apprécié que la menace à laquelle vous étiez exposé avait disparu. Je conseille enfin de ne surtout pas sous-estimer la violence du stress qui accompagne de telles expériences, avec des conséquences très pratiques y compris sur la capacité à bien s’expliquer : faire état de ce stress et demander l’examen par un médecin pour le faire constater, même en l’absence de blessure physique ; demander aussitôt l’assistance d’un avocat, si possible bon connaisseur de ces questions, afin qu’il vous accompagne tout au long de la quasi-inévitable garde à vue qui vous occupera dans les heures qui suivront l’acte de violence auquel vous aurez été contraint.

Vous me permettrez d’ajouter un dernier mot de bon sens qui ne surprendra sans doute pas vos lecteurs : comme je le rappelle dans la conférence à laquelle vous faîtes allusion, de très nombreux philosophes et juristes ont rappelé, depuis des siècles, que le droit de se défendre est un droit naturel de l’homme. Dès lors, autant il faut évidemment faire attention à ne pas déclencher de catastrophe en engageant, de façon prématurée ou téméraire, des manœuvres de défense qui vous exposeraient à une violence à laquelle n’étaient pas décidés vos agresseurs, autant il est des circonstances qui nécessitent de faire tout ce qui est nécessaire pour « s’en sortir », en particulier si on est accompagné de membres de son entourage particulièrement vulnérables, les conséquences juridiques devenant dès lors momentanément secondaires.

Je pense, en particulier, aux agressions à domicile (« home jacking »), agressions particulièrement insupportables, à propos desquelles les autorités communiquent aussi peu que possible pour des raisons faciles à comprendre et dont plusieurs parquets constatent une augmentation significative depuis quelques mois.

Or, il faut se souvenir que l’article 122-6 du Code Pénal établit une présomption de légitime défense pour celui qui défend son habitation « de nuit » et que, dans ce cas précis, le principe de réalité commande de se protéger sans attendre d’être certain que les indésirables vont se contenter de voler votre téléviseur plutôt que d’en profiter pour violer également votre femme et vous torturer pour obtenir le code de la carte bleue. Il ne s’agit naturellement pas d’invoquer une immunité du domicile attaché à son périmètre (de type « castle law » comme il en existe dans certains pays anglo-saxons) mais bien de protéger les personnes qui vivent dans l’habitation.

Lorsqu’il s’agit d’urgence vitale, que la police est à quelques minutes et les voyous à quelques secondes, je pense que la combinaison de l’article L 122-6 et du bon sens constituent une bonne indication de la voie à suivre, en prenant évidemment toutes les précautions pour ne pas blesser vos proches et en se confortant aussitôt après à la conduite de bonne foi que je viens de décrire.

Lorsqu’un proche fait un malaise chez vous, vous appelez le SAMU mais prodiguez les gestes élémentaires de secours en les attendant. Le parallèle avec la légitime défense me paraît patent : il faut évidemment appeler la police (si on peut !) mais ensuite en attendant son arrivée, il me semble que l’on peut (on doit !) défendre les siens ; tel est en tout cas le sens de mon engagement sur ce sujet et de la pédagogie que je m’efforce de développer devant les tribunaux dans l’intérêt des fonctionnaires, des bijoutiers ou des simples particuliers qui ont été contraints de défendre leur peau.

Merci beaucoup !

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