Steve a rencontré un « videur » qui travaille dans cette activité nocturne à risques depuis 8 ans. Blessé par armes blanches à deux reprises, menacé de nombreuses fois, il ne souhaite pas que son identité soit dévoilée. Nous l’appellerons Mouss. Mouss a 34 ans et s’est gentiment plié à l’exercice de l’interview pour Protegor.

Mouss, quel est ton parcours ?
J’ai grandi comme on dit en « cité difficile » et donc même si ça peut paraître cliché j’ai appris assez tôt la violence et les phénomènes de groupes. D’ailleurs, j’aimerais si tu me le permets faire tomber de suite un vieux cliché : appartenir à telle ou telle « ethnie » ne facilite en rien ce métier, c’est même souvent plutôt le contraire. Pour reprendre mon parcours, j’ai commencé très jeune le sport, beaucoup d’athlétisme puis grâce à un ami la boxe anglaise et puis à l’âge de 14 ans la boxe thaï et enfin le ju-jitsu. Je m’entraîne actuellement 2 fois par semaine aux sports de combat et je sors courir tous les deux jours. J’ai eu différents jobs alimentaires avant de faire de la sécurité privée puis finalement je suis devenu au hasard des rencontres portier en discothèque ou en pub suivant les époques.

Pour entrer dans le vif du sujet ce métier est souvent connoté négativement, les portiers et autres videurs ont la réputation d’être des « cogneurs » qui frappent d’abord et discutent ensuite, qu’en penses-tu ?
Et bien il est vrai que certains dans ce milieu sont des brutes, mais pour une grande majorité nous détestons cela car franchement une soirée où tout se passe bien est une bonne soirée pour tous : pour les clients, pour mon patron, pour l’ensemble du personnel et surtout pour.. moi (rires). Quand on a pris une bouteille dans la tête et qu’il faut se faire recoudre, qu’on a passé une partie de la nuit à s’expliquer avec la police parce que l’on a utilisé la force, qu’une partie des clients sont traumatisés et ne reviendront plus dans cet établissement et bien franchement c’est une très mauvaise soirée… Ce que les gens ont du mal à imaginer c’est le décalage entre la situation ressentie par eux-mêmes et l’utilité de ce que je peux faire et des moyens employés. Je m’explique, Paul est très saoûl et déambule vers les toilettes, il bouscule Max qui est moins alcoolisé et qui démarre au quart de tour. Max pousse Paul qui tombe à terre et qui se relève en injuriant Max. Un copain de Paul, Alex, voyant la scène pousse Max qui tombe à son tour. Arrive Bruno un copain de Max qui voit juste la dernière scène se déroulait devant lui et colle un coup de poing à Alex, et c’est parti ! rires. Tout le monde est « chaud », tout le monde est un peu ou fortement alcoolisé, tout le monde est très cool en tant qu’individu isolé mais pas ce soir. Mélange à ça la musique à un niveau sonore important, les jeux de lumière, l’obscurité, les copains et copines de Paul, Max, Alex et Bruno. Tout était bien il y a 2 minutes et d’un coup ça se pousse, ça se bat, les verres volent dans la salle, etc… Et là j’entre en scène et les gens ne se rendent pas compte des éléments suivants :
1/ Je n’ai rien vu ou au mieux juste le début de l’altercation
2/ La plupart du temps quand j’arrive, je ne sais pas qui à tort ou à raison
3/ Je ne sais pas qui est ami avec qui et qui est contre qui
4/ Je ne suis pas alcoolisé et j’ai bien dormi avant de venir, je suis au travail. Je n’ai pas la même perception que le client qui est dans un état « second » si je puis dire
Bref, voici ce que les gens doivent retenir : le « videur » n’est pas un élément de plus dans la bagarre, il est là pour y mettre fin le plus vite possible pour le bien des autres clients, pour que l’endroit reste fréquentable et que l’on aime y revenir pour faire la fête. Ces lieux ne sont pas des endroits de charité, c’est le business de mon patron et mon patron il ne veut pas de bagarre. Il aimerait bien d’ailleurs économiser sur notre présence mais il ne peut pas se passer de nous (rires) car sinon c’est l’anarchie.

Quels sont pour toi les types d’endroits à « risques » ou à « éviter » ?
Difficile à dire tellement il y a de paramètres à prendre en compte. Moi je dirais tout d’abord la localisation du site. Il est certain que si vous allez dans un secteur type « rue de la soif » (succession de bars, pubs et boites), il y a toujours des heures où ça « chauffe » donc quand on sort peu ce n’est pas forcément les endroits les plus « safe ». Ensuite la base quand on rentre dans un lieu est de s’imprégner de son ambiance, si vous ne sentez pas l’ambiance et la population qui s’y trouve je conseille de sortir et de changer d’endroit. Pour le reste même si l’ambiance vous semble bonne il n’est pas inutile de faire un petit repérage (WC, issues de secours, comptoirs, positionnement des « videurs », etc…). Eviter de vous placer dans une zone de fort passage (couloir qui mène au WC, comptoirs bondés, etc…) qui sont plus propices aux bousculades. Ensuite en grande banlieue ou dans des sites types zones industrielles, essayez de garer votre véhicule assez proche du lieu afin d’éviter une « embuscade » sur le parking (pas trop près non plus de l’établissement pour éviter les dégradations). Il n’est pas rare qu’une petite embrouille se produise dans un lieu et une fois que vous sortez sur le parking si vous êtes garé dans un coin reculé un comité d’accueil vous attende. Ensuite avec un peu de bon sens et d’observation on apprend beaucoup de choses sur un lieu ; j’ai bossé dans un pub dansant tout un été où il y avait de grandes terrasses à l’extérieur : les consos étaient servies dans des gobelets et toutes les tables et tabourets étaient vissés au sol. La raison était simple, tous les soirs ça partait en « vrille » donc autant de projectiles en moins. En dehors de la forte concentration de personnes et d’alcool, les projectiles sont l’autre danger des bars et boites : les bouteilles, verres, tabourets et petites tables… tout ce qui peut se trouver à portée de mains peut devenir un projectile.

En dehors du site, il y a aussi les gens avec qui vous sortez… Vous connaissez vos amis donc surveillez plus particulièrement ceux qui ont le coup de poing facile ou l’alcool facile (en particulier si les deux sont cumulés.. rire ). Ensuite, faites attention à vos amis tout au long de la soirée et ce jusqu’à ce qu’ils soient rentrés chez eux. Désamorcer un conflit qui monte en épingle n’est pas une honte, au contraire c’est l’acte de quelqu’un qui est sorti pour s’amuser et pas pour se battre. Si vous avez trop bu et que vos potes vous laissent en plan, alors ce ne sont pas des amis. Idem si un groupe vous menace et que vos potes se dispersent. Ensuite pour les endroits à « conseiller », c’est très aléatoire. Dans les boites de quartiers huppés, il peut y avoir des bagarres mais cela reste plus rare, en revanche à cause de l’argent et de la jeunesse dorée on rencontre d’autres problèmes : GHB, trafic de stupéfiants axés drogues dures, jeunes dont les parents sont très influents ou célèbres et qui se comportent n’importe comment, etc…

Aurais tu un conseil quand au « placement » idéal dans un lieu de soirée ?
De préférence dos à un mur c’est toujours un soucis de moins (rires), en privilégiant les tabourets de bar assez hauts (meilleur champ de vision) et en évitant les zones de fort passages. Comme ces lieux sont bondés il n’y a souvent pas beaucoup de choix donc pas de placement idéal.

Utilises tu un ou des équipements spécifiques dans le cadre de ton métier ?
Trop de choses ! (rires) mais ça me parait être le minimum. J’ai un petit sac à dos derrière un comptoir avec une trousse de secours assez complète et très enrichie sur des problèmes spécifiques :
– Sérum physiologique pour nettoyage des yeux après « gazage » (une vingtaine)
– Pansements pour coupures notamment en cas de jets de verre, etc etc… (une vingtaine)
– Quicklot pour les plaies occasionnant de forts saignements (4) car il n’y a rien qui panique plus les gens que la vision du sang qui coule en abondance
– Gants en latex jetables (une vingtaine) pour manipuler les gens malades (vomissements dus à l’alcool)

Pourquoi cette quantité sur ces produits ? Car là où je bosse personne n’a jamais rien, ça m’énerve et il arrive que plusieurs personnes ai besoin de « soins » en même temps.

Ensuite dans mon sac j’ai une casquette et une veste très différente de celle que je porte quand je fais de la « porte » en extérieur. Pourquoi ? Parce que je prends les transports en commun au petit matin et si j’ai eu des accrochages avec des gens dans la soirée je sors par une porte de service discrète et avec des vêtements très différents de ce que je porte durant mon job.

Pour finir j’ai un petit gilet pare-balles en IIIA dans mon sac, je le porte pendant les très grosses soirées (fête de la musique, saint-sylvestre, 14 juillet, etc…) ou si un groupe d’individus mal intentionnés risque de revenir à « la charge » pendant la nuit.

Ensuite sur moi je porte ma radio, mon tel mobile et une lampe de forte puissance avec une tête légèrement « crénelée ». C’est hallucinant tout ce qu’on peut faire avec une telle lampe (puissance qui désoriente la personne hostile, impact tool, etc…). Toujours sur moi également une paire de lunettes en cas d’emploi de gazeuse ou si ça commence à envoyer des verres en salle … Ensuite j’ai souvent sous ma veste un « sac d’arrestation » made in Charles Joussot. C’est un produit tout simple mais hallucinant d’efficacité. Pour sortir une seule personne sans lui faire de mal c’est l’idéal.

Ensuite comme je suis sous anonymat je ne le cache pas : là où je bosse on a 3 « gazeuses » type « extincteur » tout simplement pour repousser une attaque de l’entrée par un groupe hostile ce qui devient malheureusement de plus en plus fréquent.

Pour finir Mouss vois-tu une évolution des menaces au fil du temps ?
Et bien malheureusement oui. Il y a de moins en moins de « one-to-one » et de plus en plus, quand on sort quelqu’un pour mauvais comportement on se retrouve quelques minutes ou quelques heures après à faire face à tout un groupe. Egalement toujours plus d’armes blanches, gazeuses, répliques de pistolets ou pistolets d’alarme, etc…Il y a aussi de plus en plus de conflits liés au tabagisme devant les établissements et ça c’est très nouveau. Et pour nous aujourd’hui un « problème » toujours plus grand : touche à quelqu’un et tu as 3 téléphones portables qui filment, ça ne me dérange pas dans le principe mais ce qui me dérange ce serait qu’on sorte un jour un morceau de vidéo sorti du contexte.

Souhaites tu conclure par quelque chose en particulier ?
Oui je déplore comme nombre de mes collègues l’absence de cadre légal précis dans mon métier, tout est très flou. Il y a aussi un manque de professionnalisme dans ce boulot du fait de l’absence de vraie formation obligatoire (avec un cursus secouriste qui serait franchement nécessaire), du travail au noir, etc… Du coup beaucoup d’établissements opèrent dans un brouillard complet et je suis surpris qu’il y est si peu de problèmes dans ce pays concernant les discothèques, pubs et autres lieux festifs.

Bonne continuation à Protegor.

Mouss Protegor te remercie et te souhaite bon courage.