Laurent-Franck LiénardMaître Laurent-Franck Liénard est un avocat spécialisé ente autres, dans le traitement des cas de «légitime défense». Il défend aussi bien des particuliers que des professionnels dans des cas où la victime a employé la force contre son agresseur. Par ailleurs, Maître Liénard est auteur de plusieurs ouvrages, le dernier s’intitulant Force à la Loi : Analyse juridique et judiciaire du port et de l’usage des armes par les forces de l’ordre. Il a bien voulu accorder une interview exclusive à PROTEGOR et répondre aux questions que nous nous posons tous sur le sujet de la légitime défense.

PROTEGOR : Cher Maître, commençons directement par un cas concret (*) pour bien entrer dans le vif du sujet. Samuel, 32 ans, se fait agresser dans un couloir du métro parisien par deux grands gaillards qui veulent voler le Blackberry qu’il tient à la main. Les deux agresseurs ne sont pas armés, mais l’un d’eux attrape Samuel au cou, le plaque dos contre le mur et appuie fort. Samuel donne un coup de genou à ce premier agresseur pour prendre un peu de distance, et sort une bombe lacrymogène qu’il utilise contre ce même agresseur. Le second agresseur réagit alors en saisissant Samuel violemment à l’épaule, Samuel le frappe au visage avec le fond de la bombe lacrymogène, ce qui lui permet de se dégager et de s’enfuir. Quelle analyse ferait le législateur s’il devait se prononcer sur ce cas (imaginons que des témoins ont décrit la scène ainsi) ?
Laurent-Franck Liénard :
Votre première question pose plusieurs difficultés. Tout d’abord, ce n’est pas au législateur de faire l’analyse de votre cas concret, mais au magistrat qui aura à connaître de ce cas. La différence est importante, dans la mesure où ce que prévoit la loi doit être appliqué par les hommes et qu’il existe souvent des écarts importants entre les prévisions légales et l’application qui en est faite par les juridictions. Par ailleurs, il est très difficile de donner un pronostic de ce que sera la décision d’une juridiction tant l’application de la loi est différente en fonction des hommes qui sont appelés à juger. Sur le plan du droit, la scène que vous décrivez entre bien évidemment dans les prévisions de l’article 122-5 du Code Pénal qui prévoit le fait justificatif de légitime défense. Dans votre cas d’espèce, une agression est en cours, en réunion, contre un homme seul. Les coups qui sont portés par la victime, quand bien même il utilise une arme, le sont dans le cadre strict de la légitime défense puisqu’ils ne visent pour la victime qu’à se soustraire à l’agression dont elle fait l’objet. Le seul point qui serait étudié éventuellement par le magistrat serait la nécessité d’asperger de gaz lacrymogène le premier agresseur alors même qu’il semble avoir mis hors d’état de nuire par le premier coup frappé. D’une manière générale, la scène que vous décrivez entre toutefois bien dans les prévisions légales de l’article 122-5.

PROTEGOR : Un autre exemple concret (*) : Bruno, 45 ans, est tireur sportif. Il détient chez lui une arme de poing en 9mm, qu’il garde au coffre, selon les modalités de la loi sur la détention d’armes. Il vit avec sa femme dans une maison en périphérie de Bordeaux, et une nuit il est réveillé par un bruit au rez-de-chaussée, sous leur chambre. Il se lève, sort son arme et la charge. Il descend et se trouve nez-à-nez avec un individu armé d’un pied de biche massif. Ce dernier arme son geste pour frapper Bruno avec l’outil, Bruno tire 2 coups rapides dans le buste de l’agresseur qui sera sérieusement blessé mais ne décédera pas. Même question que précédemment, sachant que cette fois-ci il n’y a logiquement pas de témoins extérieurs à la scène ?
Laurent-Franck Liénard :
Ici encore la scène que vous décrivez entre dans les prévisions de la loi. Il ne s’agit pas de l’article 122-5, mais cette fois de l’article 122-6 du Code Pénal qui présume en état de légitime défense celui qui accomplit un acte pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité. L’utilisation d’une arme détenue à titre sportif ne pose pas de difficulté en droit. Le fait également de s’en saisir et de la charger en vue de se défendre ne pose pas de difficulté juridique. La question qui se posera sera celle de la proportionnalité entre les coups susceptibles d’être portés par l’agresseur et la riposte appliquée par Bruno. La légitime défense est une rencontre entre un moyen et une probabilité d’atteinte. Si l’agresseur est au contact de sa victime, armé d’un pied de biche, et qu’il risque de frapper sa victime sur la tête, il en découle bien évidemment un risque extrêmement grave.
Dans ces conditions, la vie de la victime étant directement menacée, il peut appliquer un tir mortel. La deuxième difficulté sera celle de démontrer la réalité des faits. L’article 122-6 du Code Pénal renverse la charge de la preuve de sorte que ce sera au Parquet de démontrer qu’il n’y avait pas de légitime défense. Bruno se trouve donc dans une situation favorable sur le plan légal.


Force à la Loi

PROTEGOR : Merci pour ces analyses. Les textes de loi relatifs à la légitime défense sont connus, mais y a-t-il des cas de jurisprudence qu’il est intéressant de connaître car ils sont venus bouleverser la façon de traiter ces cas de « répliques par une victime » ?
Laurent-Franck Liénard :
Les cas de légitime défense sont traités par les Tribunaux ou par les Cour d’Assises et constituent, à chaque reprise, des cas d’espèce. Il est très rare qu’une question touchant au fond du droit soit suffisamment abordée pour qu’elle donne lieu à publication. De ce fait, il y a peu de cas de jurisprudence utiles à la compréhension de la légitime défense. En tout état de cause, il n’y en a pas de nouvelles par rapport à celles que j’ai décrites dans mon ouvrage.

PROTEGOR : Pouvez-nous rappeler la notion d’instantanéité de la défense (ie vengeance versus légitime défense) ?
Laurent-Franck Liénard :
La légitime défense suppose la réunion d’un ensemble de conditions qui sont prévues par la loi. Il est indispensable notamment que la riposte soit instantanée et nécessaire. Cela veut dire que, pour que les coups portés échappent à une répression pénale, il faut qu’ils aient eu pour seul but que d’échapper à l’agression dont l’auteur de ces coups faisait l’objet. Dès que l’agression a cessé, ou que l’agresseur n’est plus en état de constituer un danger, soit parce qu’il a été mis hors d’état de nuire, soit parce qu’il a pris la fuite, les coups qui lui seraient portés ne seraient plus nécessaires et constitueraient de ce fait des violences volontaires susceptibles d’être poursuivies pénalement. Tel est le cas lorsque des policiers tirent sur une voiture qui vient de passer et qui a manqué de les écraser, ou d’une personne qui se défend en portant des coups à son agresseur et continue à le frapper alors que cet agresseur est manifestement hors d’état de nuire. Ensuite, bien évidemment, tout est une affaire d’appréciation par les magistrats qui devront connaître de l’affaire.

PROTEGOR : Pour nos lecteurs qui se trouveraient agressés et qui répliqueraient face à leur agresseur, quels seraient vos conseils pratique de protection juridique immédiate ?
Laurent-Franck Liénard :
Les conseils pratiques sont décrits dans mon ouvrage. Les principes fondamentaux sont de ne jamais mentir, de faire les déclarations les plus limitées possibles, retenir les témoins de la scène afin d’avoir plusieurs versions de ce qui s’est passé. Il faudra bien évidemment s’assurer de l’assistance d’un conseil efficace et spécialisé.

PROTEGOR : Ceux qui portent un intérêt fort à leur sécurité personnelle sont souvent conscients de la très forte difficulté à prouver une situation légitime défense, et préfère souvent se réfugier sur l’adage américain « je préfère être jugé par 9 que porté par 6 » (autrement dit, je préfère aller en prison que mourir). Connaissez-vous des cas, peut-être chez des professionnels de la sécurité, où la pression juridique sur le respect des règles de défense a probablement entraîné la mort de la victime ?
Laurent-Franck Liénard :
Je ne connais pas personnellement de cas dans lesquels la pression juridique a entraîné la mort directe de la victime. En revanche, je connais un ensemble de cas, très nombreux, dans lesquels le doute a entraîné un temps de réponse trop important et des blessures graves. Je peux même vous dire que, dans les dossiers que j’ai traités, la très grande majorité des affaires présente cette caractéristique d’une réponse trop tardive de la personne agressée, notamment justifiée par l’inhibition qui frappe chacun de nous à porter des coups à notre agresseur.

PROTEGOR : Bon nombre de nos fidèles lecteurs sont belges & suisses (je pense aussi à nos amis québécois, aux différents pays du Maghreb & d’Afrique sub-saharienne, etc. mais je ne peux pas demander une étude mondiale à notre invité ;-)) ; les lois en Belgique & en Suisse sont-elles très différentes de celle appliquée en France sur le sujet de la « légitime défense » ?
Laurent-Franck Liénard :
L’application de la loi française et sa connaissance sont suffisamment techniques et difficiles. Je n’ai pas de connaissance particulière en matière de droit belge ou suisse.

PROTEGOR : Si l’un de nos lecteurs avait besoin de votre aide pour le défendre dans un cas de « légitime défense », comment peut-il faire appel à vos services ?
Laurent-Franck Liénard :
Etant avocat à la Cour d’Appel de Paris, mes coordonnées figurent dans l’annuaire.
Je vous les rappelle : 5 rue Edouard Fournier – 75116 PARIS – Tél. : 01 56 91 29 29, Télécopie : 01 40 72 62 05
E mail : lflienard[at]orange.fr ; Je reste bien évidemment à votre disposition, ainsi qu’à celle de vos lecteurs.

(*) ces exemples concrets sont inventés de toutes pièces et ont pour unique objectif de mieux comprendre la notion de Légitime Défense, en France

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