Justine P. était à Tôkyô il y a 1 an, lors de la catastrophe de Fukushima. Etudiante, venant de signer un V.I.E. dans une grande entreprise nationale à ce moment, elle témoigne de cette expérience terrible de vivre une catastrophe dans un pays étranger (et en profite pour nous donner quelques conseils).

PROTEGOR : Tu étais à Tokyo il y a 1 an, lors de la série séisme, tsunami, catastrophe nucléaire de Fukushima…
C’était ton premier séisme j’imagine, quelle réaction as-tu eue ?
J.P. : C’était mon premier séisme d’un niveau aussi élevé. J’avais connu quelques petits séismes auparavant au Chili. Nous étions au bureau de mon entreprise quand il y a eu les premières secousses. Mes collègues ont immédiatement compris que c’était un séisme de forte magnitude. Ils l’ont comparé au séisme de Kobe en 1995 (un collègue y était également). Ils sont tous allés sur un site internet japonais dédié aux séismes et on a directement su qu’un tsunami allait toucher le Japon ½ heure après. Les portes claquaient, les rideaux se balançaient de gauche à droite. Nous sommes restés sous les bureaux lors des fortes secousses. Une fois que ça s’est un peu calmé, nous sommes rentrés chez nous. Il n’y avait plus de transports en commun, donc j’ai marché environ deux heures pour rentrer chez moi.

PROTEGOR : Tu étais là-bas depuis peu & ne parle pas japonais.
Comment t’informais-tu ?

J.P. : Un collègue du bureau qui est français m’envoyait régulièrement des sms ou me téléphonait. Je n’avais pas internet chez moi car j’avais emménagé quelques semaines auparavant, et je ne comprenais pas les informations diffusées sur les TV Japonaises. Il m’envoyait également tous les emails envoyés par l’Ambassade de France.

PROTEGOR : Quel était le niveau de censure des médias ? Laissaient-ils transparaître beaucoup de stress & d’incertitude ?
J.P. : J’ai eu peu ou pas accès aux médias dans les trois premiers jours car je n’avais pas internet et ne pouvais pas comprendre la TV locale. Les médias internationaux ont vite compris que la situation était critique je pense. Mais ils n’avaient pas toutes les informations dont disposé Tepco (l’opérateur de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima). De toute façon, lorsque l’on se retrouve face à une situation de crise nucléaire, il devient difficile de croire ou même de comprendre les informations qui sont données. D’une part, car ces sujets sont très techniques et scientifiques. D’autre part, parce qu’on sait bien que les gouvernements sont frileux dans leurs communications pour ne pas affoler les populations.

PROTEGOR : Les premières informations sur la catastrophe nucléaire sont arrivées par quel biais ?
J.P. : J’ai vu des images en boucle à la TV sur la centrale nucléaire, mais je ne pouvais pas vraiment comprendre ce qu’ils disaient sur la situation.

PROTEGOR : Comment a réagi l’Ambassade Française ? Ont-ils poussé à l’évacuation ? A partir de quel moment ?
J.P. : L’Ambassade Française nous a plutôt orienté à rester dans un premier temps, ou à aller vers le sud du Japon. Et ce n’est que la semaine suivante qu’ils ont mis en place une aide au rapatriement, mais qui restait un choix personnel et non un ordre d’évacuation.

PROTEGOR : Même question avec l’entreprise française dans laquelle tu travaillais ?
J.P. : Avec mon statut V.I.E. (Volontaire International en Entreprise), j’étais liée à la fois à l’Ambassade de France et à mon entreprise, qui m’a recommandé de rester à Tokyo et d’aller au travail normalement le lundi matin. Un collègue, qui lui habitait au Japon depuis quelques années, a décidé de partir dès le dimanche. Il m’a conseillé de partir avec lui malgré la volonté de ma hiérarchie de rester à Tokyo. N’ayant pas accès à internet, mon père a fait le nécessaire pour me réserver un billet d’avion. Les prix des billets étant exorbitants avec Air France, nous avons pris un vol vers les Etats-Unis pour le dimanche soir (à mes frais) avec une autre compagnie aérienne.

PROTEGOR : Finalement tu es partie… quelles étaient les difficultés pour fuir ?
J.P. : Fuir un pays n’est pas une décision que l’on prend tous les jours… Le fait d’avoir aménagé au Japon très récemment n’a pas aidé, car j’avais vraiment un sentiment d’expérience inachevée. En même temps, le fait de n’avoir aucune attache sur place (famille, amies…) m’a permis de partir sans regret. J’avais pris un billet de retour vers Tokyo 15 jours après (le temps de prendre de la distance par rapport au contexte). N’ayant pas souhaité retourner au Japon, j’ai pris la décision de rentrer en France. Ma hiérarchie m’a accordé une semaine supplémentaire de « congés ». Ils souhaitaient que je retourne à Tokyo après 3 semaines ou que je démissionne. La décision de démissionner a été la plus difficile à prendre, car je venais juste de trouver ce nouveau poste. Je n’ai senti aucun soutien de l’entreprise. A part mon supérieur hiérarchique qui m’a demandé plusieurs fois de retourner travailler au Japon, je n’ai absolument pas été en relation ni avec les RH de France ni du Japon. N’ayant pas accepté le cas de « force majeure », je n’avais plus légalement le droit d’effectuer un nouveau contrat de V.I.E. (j’ai tout de même obtenu une dérogation après contestation). Un autre point qui a été compliqué à gérer, a été la logistique sur place alors que j’avais quitté le pays en moins de 3 heures en pensant y retourner (ex : faire rapatrier mes affaires en France puisque j’avais tout laissé la bas, payer les factures de l’appartement de fonction…).

PROTEGOR : As-tu des conseils pour quelqu’un qui serait amené à connaître une situation similaire dans un pays étranger ?
J.P. : Lorsqu’on s’installe dans un pays à fort risque sismique, on est conscient qu’il y a un risque potentiel. Il « suffit » de s’informer sur les conseils à suivre en cas de tremblement de terre (se protéger la tête sous une table, couper le gaz pour éviter les incendies, ne pas se précipiter dehors, ouvrir les portes et fenêtres pour évacuer après les secousses…). Il faut également veiller à bien s’inscrire sur les listes des français à l’étranger de l’Ambassade. Cela permet d’être localisé et d’être en contact avec un chef d’îlot. Lorsqu’un plan de sécurité est déployé chaque chef d’îlot est responsable d’un groupe de ressortissants. Dans notre cas, ce sont eux qui étaient chargés de distribuer les pastilles d’iode. Ce qui est plus difficile à anticiper c’est le danger nucléaire… Nous recevions des points réguliers de l’Ambassade et de l’Assemblée des Français à l’Etranger sur la situation. Les recommandations ont évolué d’heures en heures.

Mon conseil est de ne pas hésiter à partir le plus vite possible du pays s’il y a le moindre risque nucléaire aux alentours… et de ne pas culpabiliser de cette décision !

 

Voici des exemples d’emails reçus :


Madame, Monsieur,

Les évènements de ces dernières heures sont nombreux et difficiles à analyser. Je les suis comme vous tous, minute par minute, depuis Tokyo. La bonne nouvelle est que l’enceinte de confinement du Fukushima I-2 ne serait pas trouée.

Je suis avec vous et les conseils que je vous donne sont ceux que j’applique à moi-même.

Je vous demande instamment de ne pas céder à la panique et de suivre les instructions de notre Ambassade, puis celles du gouvernement japonais, si une alerte devait être déclenchée.

Nous devons nous fier uniquement à une information précise et en temps réel.

POUR VOTRE SECURITE
Conseils pratiques de bon sens en premier lieu :
– Ne pas sortir de chez vous dans les prochaines heures, sauf urgence
– Vous confiner à votre domicile ou sur votre lieu de travail, c’est-a-dire veiller aux sources de ventilation, ne pas utiliser la climatisation.
– Vous assurer qu’eau (dont baignoire remplie), nourriture et sac d’urgence (masque, lampes, etc.) sont préparés.

POUR VOTRE INFORMATION
– Consulter régulièrement le site de l’Ambassade qui avait déjà annoncé qu’un éloignement de Tokyo était recommandé si votre présence n’y était pas nécessaire. Vous pouvez avoir entière confiance dans toutes les informations de la Cellule de crise. L’équipe se relaie jour et nuit, a installé ses quartiers sur tout le premier étage de la nouvelle chancellerie. Ils recoupent leurs informations avec celles du gouvernement japonais, mais également de leurs spécialistes et celles de nos alliés européens, américains, etc. Merci de garder s’il vous plait votre sang froid et de rester courtois avec toute l’équipe, car c’est seulement tous unis et solidaires que nous passerons à travers cette crise.

LES QUESTIONS QUI ME SEMBLENT IMPORTANTES
– Y a-t-il eu ou y a-t-il risque de nuage radioactif ?
– Quelle en est la dangerosité ?
– Quelle est l’activité prevue pour les prochains jours ?
– Comment vont se distribuer les pastilles iodées arrivées hier soir avec les forces civiles dans une quadrature ou de nombreux chefs d’îlots ne sont plus dans le Kantô ?

Je m’engage à revenir vers vous le plus rapidement possible avec des reponses précises

Ci-joint le dernier communiqué de l’Ambassade, qui répond à certaines interrogation, en particulier sur la dangérosité actuelle.


SEISME : Message de l’Ambassade à la communauté française

Mardi 15 mars à 10h00 (heure de Tokyo)
Une explosion a eu lieu ce matin à la centrale de Fukushima I-2. Selon l’Agence japonaise de sécurité civile, qui signale des taux de radioactivité significatifs aux alentours de la centrale, l’enceinte de confinement ne serait pas trouée.

Les vents soufflent actuellement vers le sud à une vitesse modérée. S’ils se maintiennent, ce qui n’est pas certain, les émanations radioactives de
faible intensité pourraient arriver sur Tokyo d’ici une dizaine d’heure.

L’Ambassade renouvelle ses consignes :
– ne cédez pas à la panique ;
– restez dans vos maisons, en veillant à les calfeutrer au maximum, cela protège efficacement contre les éléments radioactifs de faible intensité qui pourraient traverser Tokyo.


LFJT : Message du Proviseur à la communauté éducative

Madame, Monsieur, chers Collègues,

Comme suite à plusieurs courriers et questions qui m’ont été adressés, je vous confirme que l’AEFE par la voix de son coordonnateur régional a demandé aux établissements de la zone Asie de mettre en place tout le dispositif nécessaire pour accueillir, même temporairement, tous les élèves en provenance du LFJT qui se présenteraient dans leur établissement, dans le cas où les familles viendraient se réfugier dans leur pays. Le Lycée Français International de Hong-Kong, l’école française du Kansaï à Kyoto et le Lycée Français de Hanoï ont d’ores et déjà fait connaître qu’ils mettraient tout en œuvre pour accueillir nos élèves. L’ensemble du réseau des établissements scolaires de la zone est mobilisé dans le but d’assurer la continuité des cours, surtout pour les élèves qui se trouvent dans une classe d’examen.

Pour ce qui concerne le LFJT, en accord avec l’Ambassade de France, la reprise des cours a été reportée au mardi 22 mars, le lundi 21 mars étant férié.


Autres extraits :

« – de limiter les sorties au strict nécessaire. Les personnes n’ayant pas de raison particulière de sortir sont invitées à rester à leur domicile. C’est là qu’elles sont le plus protégées et c’est en limitant les sorties que l’on réduit le risque de contamination de son habitation.
– pour les personnes qui devraient sortir malgré tout, il convient de se munir d’un parapluie et d’un imperméable, qui seront laissés à l’extérieur, sur le seuil de l’habitation. Il est également recommandé de changer de chaussures. »