Christophe Frugier est connu des passionnés d’arts martiaux internautes car il intervient, depuis bien longtemps, sur feu Cyberkwoon et le fameux forum Kwoon.info, particulièrement dès qu’il s’agit de disciplines internes/efficaces & d’armes en tous genre.  Ayant pratiqué différentes disciplines, dont un style Vietnamien peu connu en France (le Hac Ho Quyen) et l’excellent art interne chinois Xing Yi Quan (que certains connaissent sous la romanisation Hsing’i), il est aussi grand collectionneur d’armes, et forgeron à ses heures perdues. J’ai voulu lui poser quelques questions autour de ses passions pour savoir quelle était son approche de la sécurité personnelle, et quelles armes de défense personnelles il préconisait.

PROTEGOR : Qu’apporte la pratique d’une discipline «interne» comme le Xing Yi à quelqu’un qui veut être efficace s’il a à se défendre « pour de vrai » ?
Christophe Frugier : C’est une question un peu rude pour commencer… pour définir ce qu’est se défendre pour de vrai, j’aurai tendance à te demander -je suis taquin- c’est quoi se défendre pour de faux ?
Je ne peux que parler de mon expérience propre, qui n’a pas de valeur autre que pour moi…
L’interne c’est une façon différente de bouger, de générer de la puissance. C’est, dans ce qui m’a été donné de voir, l’acquisition de compétences multiples permettant d’apporter dans la plupart des distances de combat des réponses inattendues et… surprenantes de pertinence. Le tout en conservant à l’esprit que ce que l’on protège en premier c’est le corps : pas la peine de se flinguer les hanches, carpes et metacarpes, les genoux,… tout au long de sa vie de pratiquant, dans la crainte (l’espoir ?) d’être un jour confronté à une situation conflictuelle. Dans cette perspective, mieux vaut se mettre au tir tout de suite…
Ce n’est pas propre au Xing Yi Quan, mais il est vrai qu’il a été moins contaminé par la tendance new-ageuse qui a vérolé une majorité de cours de Tai Ji, et le Ba Gua dans une moindre mesure (d’autre styles excellents existent mais cela reste très confidentiel, donc forcément, les charlatans y sont moins présents). Le Xing Yi c’est un peu le pit bull de l’interne : il ne laisse pas de place à l’imagination. Tu le vois, tu sais que c’est fait pour casser, tordre, déchirer, disloquer. Va faire rentrer de l’amour du prochain là-dedans…

PROTEGOR : Tu recommandes certains professeurs (ou disciplines) en France / Belgique / Suisse ?
Christophe Frugier : Recommander un professeur, c’est comme recommander un médicament. Untel qui me convient pour mon besoin peut ne pas convenir à d’autres, et faire plus de bien que de mal. Et quelle certitude avons-nous que tel bon professeur aujourd’hui ne deviendra pas mauvais demain par ce qu’entrainé dans une quête illusoire par un accident de la vie ? Alors que les écrits restent sur internet il est délicat de mettre en avant une personne… qui ne le souhaite d’ailleurs peut-être pas. Je préfère donner des conseils, de grandes lignes directrices :
– on choisit un professeur, pas un style ou un club
– on regarde un cours complet, on fait le cours d’essai et on écoute ce qui se dit dans le vestiaire (on est assez proche du trial by cherry anglo saxon)
– on regarde comment sont les élèves gradés : sont-ils anciens, nombreux, quel est leur comportement ?
– si il y a un doute… alors il n’y a pas de doute comme dit un ami
– fuyez absolument la magie, les pouvoirs extraordinaires : plus on en parle…

PROTEGOR : Quels seraient les conseils de sécurité personnelle que tu partagerais avec les lecteurs du blog ?
Christophe Frugier : Eviter de laisser vos traces sur internet : regardez ce qui est arrivé récemment à un acteur français qui mettait ses dates de départ en congés sur facebook. Ce besoin -à mon sens malsain- de mettre sa trombine partout  est pour moi incompréhensible.
Préparez vous : « ne pas prévoir c’est déjà gémir » fait-on dire à Léonard De Vinci. Posez-vous la question, par jeu, quand vous arrivez quelque part : où sont les sorties de secours, où me mettrai-je pour diminuer ma vulnérabilité (vols à l’arraché, visibilité des accès). Une saine paranoïa pour employer un oxymore qui me plait bien.
Comme dit l’un de mes amis, je pars à la découverte, pas à l’aventure : je prépare mon bug-out-bag en fonction de ce que je prévois de faire ou de ce à quoi je risque d’être confronté.
Passez votre attestation de formation aux premiers soins… et recyclez la dans le temps. Il est complètement incompréhensible pour moi que cela ne soit pas obligatoire. C’est un investissement sans prix le jour où vous pouvez sauver de l’asphyxie un de vos proches.
Faites des copies des papiers importants (cartes de sécu, carte d’identité, passeport, …).
Essayez de regarder votre habitat comme le regarderait un cambrioleur : agissez en conséquence.
Très souvent les malandrins s’en prennent aux personnes les plus faibles, les moins préparées : c’est une « intelligence » de la rue/de la prédation. Si ces personnes étaient courageuses ils iraient chercher un boulot. Ils chercheront donc toujours au plus simple : il faut donc se mettre en situation de compliquer la tâche… et laissez le prédateur attaquer quelqu’un de moins prêt.

PROTEGOR : Tu habites dans un hameau dans le centre de la France, à proximité d’une grande ville ; quelles sont les principaux points de vigilance quand on vit dans une maison plus ou moins isolée ?
Christophe Frugier : Si on ne s’est pas posé la question à la base au moment de l’achat, on est dans la situation du fumeur qui va voir le médecin quand il commence à cracher du goudron. Acheter une résidence principale est une démarche qui vous engage sur 15, 20, 25 ans voir plus. Donc autant avoir une réflexion dès le début.
1 – choisir son lieu de résidence avec des éléments simples à l’esprit : quel est ma vulnérabilités aux catastrophes naturelles ? Inondation, chute de pierre, glissement de terrain, chute d’arbres, projets immobiliers majeurs (autoroute, tgv, …).
2 – connaître ses voisins : qui est fiable, qui ne l’est pas. Qui peut te dépanner, avec quels moyens. Qu’amènes-tu toi de ton coté à la communauté, fais le savoir.  Mon ancienne voisine, petite dame octogénaire que j’ai à peine connu chassait sans ménagement gens du voyages, colporteur et autres gens trainant dans le village.
3 – si quelqu’un erre dans le village sans motif précis évident, c’est le « problème » de toute la communauté : est-il perdu ? en repérage ? que cherche t il ? A minima tu dépannes quelqu’un, au pire tu montres que ton lieu de vie n’est pas inhabité, même si on peut le croire à première vue. Tu obliges le malfaisant éventuel à réfléchir… donc à choisir une proie plus facile.
4 – vérifier systématiquement l’identité des personnes se présentant à ta porte que tu n’as pas invité toi-même. On a vu dans l’actualité récente des fausses cartes de GDF, du service des eaux, d’EDF, du recensement,… Un coup de fil coûte peu, et on n’est jamais ridicule. Si ce n’est pour vous, faites le pour les personnes âgées plus fragiles de votre voisinage.
5 – ne laissez jamais personne entrer chez vous  (reconnaissance, vol à plusieurs utilisant la distraction d’un premier comparse) que vous ne connaissiez pas et qui s’est présenté à votre porte.
6 – imaginez devoir tenir un siège : que feriez vous ? quels sont les points a défendre ? quels sont vos ressources ? Si cela peut faire rire au premier abord, souvenez vous de la tempête de 1999 (elle a frappé très fort par chez moi) où les gens se sont battus dans les magasins pour du sucre, des piles… la barbarie est l’ombre de la civilisation. Quand le vernis craque, mieux vaut ne pas être pris au dépourvu.

PROTEGOR : Parlons armes… d’où vient cette passion à ton avis ?
Christophe Frugier : Si je le savais … sincèrement je n’en ai aucune idée. Certains sont possédés par la musique, la peinture, la littérature. Je ne comprends pas pourquoi, moi ce sont les armes.

PROTEGOR : Dans tes innombrables découvertes d’armes historiques chinoises, japonaises, etc. quels sont celles qui relèvent de la « protection personnelle » ? il y a 100, 200, 300 ans, que ce soit en Asie ou en Europe, les individus avaient aussi ce besoin de se protéger en cas d’agression… quelles armes utilisaient ils ?
Christophe Frugier : Le besoin de se protéger est universel, et il est troublant de constater que les mêmes problèmes induisent souvent des réponses comparables à plusieurs siècles et milliers de kilomètres de distance.
J’ai ainsi en tête une très impressionnante bague de combat chinoise, qui s’est vendu bien plus cher que ce que je pouvais mettre sur la table, et qui ressemblait fort à un cernoix (bague équipée d’une pointe utilisée dans le sud ouest pour ouvrir les noix, et plus si affinité), ou à la bague à pointe utilisée par certaines écoles de Ju Jutsu ou Hojo Jutsu japonaises. Ou plus proche de nous d’un poing américain centré sur un seul doigt et visible au Louvre des antiquaire a Paris.
Tu peux aussi comparer l’attrape-coquin moyen-âgeux et le Sasumata japonais ou son cousin le Sode Garami : mêmes objectifs.
Peut-on vraiment parler de protection personnelle ?
La limite est ténue : nous vivons une époque compliquée où la violence est présente sous des milliers de biais détournés, mais présente quand même, il suffit d’ouvrir n’importe quel quotidien pour s’en convaincre, et jamais le législateur n’a fait autant d’effort pour empêcher le citoyen lambda de se prémunir. Prends un catalogue de la Manufacture de Saint-Étienne il y a quelques décennies : on pouvait acheter fusil, canne épée, canne matraque, diabolique, pistolet. Tous nos grand-parents ont ramené qui une baïonnette, un fusil ou même un pistolet d’officiers. La violence était-elle plus grande pour autant ?
Une arme est une arme. On est passé par le biais du politiquement correcte, vers la notion d’arme de défense, mais une arme clairement c’est pour nuire à son prochain. C’est la vision subjective de l’utilisateur qui en fait une arme de défense. Et la mentalité de l’époque. Au 17e on portait une épée au côté pour se défendre. Cela fait-il de la rapière une arme de défense ?
De tout temps les agressés se sont protégés en fonction du risque encouru : il faut avoir cette démarche intellectuelle, car l’agression n’est plus que le fait de bandes. On peut s’en prendre aux économies, aux véhicules, aux moyens de communication, à tes moyens de subsistance… Plus que d’armes, la défense personnelle est un état d’esprit. C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié le livre éponyme de ton blog.

PROTEGOR : As-tu une arme à recommander aux lecteurs pour se défendre en cas de home-jacking ?
Christophe Frugier : Sérieusement ? Un cerveau.
Si on en arrive au home-jacking, c’est pas de chance (ça arrive aussi) ou qu’on n’a pas fait attention.
Je serait tenté de te conseiller des trucs sur mes goûts perso, mais cela n’a pas de sens si l’on en arrive à ce stade la. Je crois savoir que le home-jacking est en hausse effectivement, mais que faire contre 4 types motivés, armés ( ?) et qui n’aurons pas eu le problème de s’équiper (les loi n’entravent que ceux qui les respectent) ?
Es-tu seul ? As-tu des enfants ou des personnes âgées à défendre ?
Il y a là aussi trop de paramètres pour répondre de façon exhaustive.
Toutefois je conseillerai les armes à décharges électriques : elles ne sont pas mortelles, efficaces sans entrainement, sont libre de possession, ne posent pas de problème de nettoyage de la pièce (à l’inverse du  gaz CS ou OC), ne risquent pas de faire la une des journaux (des plombs à sanglier ou une balle de chasse, une fois qu’ils sont parti, pas moyen de les arrêter si tu reconnais trop tard ton beau frère farceur).
Avoir travaillé un peu sur le sujet est un plus : comment réagissent ton épouse et/ou tes enfants si vous êtes réveillé à 2h du matin par une vitre qui vole en éclat ? Ne serait-ce qu’en avoir parlé au moins une fois c’est éviter que tout le monde fasse n’importe quoi, même si stress et effet tunnel seront surement de la partie.

PROTEGOR : Quels sont tes EDC ?
Christophe Frugier : Cela dépend de ce que je fais.
J’ai un bug-out-bag  qui me suit partout avec des choses simples dedans, correspondant à mes besoins (allumer du feu, se soigner, affuter, attacher, garder sa température, éclairer, …)  et je le complète avec ce qui correspond le mieux au risque encouru.
En configuration urbaine, pour aller au bureau et en revenir, un Neck Bowie de Fred Perrin , un Leatherman Wave, un couteau de ma fabrication font largement le complément.
En ville on peut se sortir de la plupart des soucis avec de l’argent : en Europe tu trouves facilement à boire, à manger, un lit, un médecin. Si tu sors du cadre urbain, on est clairement moins préparé, même si la forêt de Fontainebleau n’est pas le Kalahari.
Si je vais me promener dans les bois comme hier, une scie pliante, une ou deux petites bouteilles d’eau, voir un ou deux gâteaux et une lame longue (hier c’était Koshi Nata et une arme de chez Valliant que je voulais tester en coupe sur des ronces, du bois,…) ainsi qu’un bâton ferré à un bout, formidable outil pour la marche. J’avais remplacé le Neck Bowie par un Opinel n°9  lame carbone.
Si je suis en montagne, je rajoute 15 mètre de corde forte, juste au cas où. L’été dernier dans les Alpes je discutais avec un guide et on a comparé nos sacs, mon goût pour les lames mis à part, on se retrouve sur les mêmes grands principes. Se protéger, se nourrir, se sortir des situations périlleuses. Et le bâton toujours, utile pour les chiens, les champignons, certains franchissements.
De toute façon, pour l’EDC comme pour le reste, sans réflexion préalable sur ce que vous voulez faire et comment le faire, vous irez forcément au devant de déconvenues. Le meilleur matériel du monde ne vous dispense pas de cette réflexion, ce serait même plutôt le contraire.

Merci Christophe !