Au cours des dernières décennies, le monde de la self-défense a connu plusieurs « révolutions », ces prises de conscience qui ont fait changer les mentalités et approches du sujet, ainsi que sa pratique technique.

D’ailleurs, les arts martiaux au sens large ont connu de nombreuses révolutions, plus ou moins légitimes. Les armes à feu ont par exemple mis au rebus les sabres des samurai. Bruce Lee a permis l’explosion de l’intérêt pour les arts martiaux auprès du grand public (grâce à ces films), mais il a aussi secoué les arts martiaux en dénonçant les styles figés. Hollywood a ensuite pris le relai de la promotion des arts martiaux, mais de manière beaucoup moins authentique, en misant sur le spectaculaire (normal, leur business c’est le divertissement) et entrainant ainsi d’innombrables clichés totalement faux (le cliché du « maître » tel que je l’évoque dans ma rubrique du Karate Bushido #438 ; l’efficacité des coups de pieds sautés ; les « ninja »…). Côté sport, les Gracie ont fait comprendre l’importance du grappling dans le combat. Puis plus globalement, les Fertitta/White ont fait exploser le MMA mondialement via l’UFC. L’histoire des arts martiaux est rempli de grosses claques qui ont changé une partie des pratiques mondiales de combat.

Mais côté self-défense (au sens « se défendre d’une agression »), quelles ont été les révolutions ?

1 – Les arts martiaux traditionnels et les sports de combat ne préparent pas totalement à la self-défense

Ca c’est une vieille histoire. Déjà au début du XXe siècle, il y avait une association très forte entre « art martial traditionnel » (e.g. jiu-jitsu) ou « sport de combat » (e.g. savate) et « défense réaliste dans la rue ». Cette association est restée jusque dans les années 80-90, et c’est l’émergence de disciplines telles que le Krav Maga ou le Silat à la française (Joussot/Ropers), sous forme de discipline dédiée à la self-défense, qui a ancré cette prise de conscience générale (même s’il est certain que les experts eux n’étaient pas dupes depuis longtemps). Une émission comme « Ca se discute – Arts martiaux : tous les coups sont-ils permis » du 28/05/1996 (un jour, prenez le temps de regarder toute l’émission, elle est passionnante) a donné une belle visibilité à ces disciplines avec les démos de Franck Ropers & Richard Douieb.

Démonstration de jiu jitsu à la préfecture de police, novembre 1905
Démonstration de jiu jitsu à la préfecture de police, novembre 1905 : le Jiu-Jitsu venu du Japon révolutionne les techniques de défense dans la rue ; source : BNF / Gallica

Le fond de cette prise de conscience réside dans le fait qu’il existe de nombreuses formes de combats (rituel, sportif, duel, etc.), avec des règles spécifiques, et que même s’il existe des fondamenteaux communs à ces formes de combat (e.g. « une bonne patate à la pointe du menton ça peut mettre KO »), la self-défense est une forme spécifique, avec un objectif différent (fuir/éviter/ne pas être blessé, et pas gagner/démontrer sa supériorité technico-combative) et avec des contraintes spécifiques (tenue, surprise, etc.) qui nécessite un travail spécifique (notamment sur la triche, la prise d’initiative / la gestion du début du combat, le cadre légal, etc.) rarement abordé dans les disciplines martiales ou sportives qui enseignent la self-défense que de manière secondaire.

Avec d’un côté l’apparition du MMA, discipline qui allie une variété de techniques et de distances de combat particulièrement large, et d’un autre côté, de plus en plus de disciplines de self-défense qui « déconnent » (au sens où elles se vendent réalistes tout en s’éloignant très vite du réalisme, tombant dans des travers marketing, théoriques et des problématiques de clubs sportifs qu’elles ne sont pas), le débat inverse a ressurgi… pour accoucher d’une souris, l’évidence qu’un pratiquant de MMA sera mieux préparé que quiconque à un combat rituel, et que pour toutes les fois où une situation de rue tournera en combat rituel, ce sera à son avantage, mais que le MMA n’apprend pas à tricher pour gagner, à fuir dès que possible, ni a travailler sur son égo et la désescalade de conflit (entre autres). La motivation à la pratique est différente (quelqu’un qui cherche à apprendre à se défendre « au cas où », ne s’inscrit pas forcément dans une pratique sportive / ludique avec des règles).

2 – La sécurité personnelle a trop longtemps été négligée

Pour le coup, cette 2e révolution est celle qui a motivé la rédaction de Protegor en 2008 : le constat que les cours et manuels de self-défense se focalisaient trop sur « la bagarre ». C’est assez logique, puisque la self-défense était et est encore enseignée de manière trop calquée sur un club sportif, à savoir des cours hebdomadaires sur une saison sportive.

L’approche est « physique », donc exercices physiques, techniques… et peu de place pour tout ce qui est « formation intellectuelle ». « Intellectuel » ici n’a pas du tout ici un sens élitiste mais juste un sens analytique et de bon sens : en même temps que l’on apprend à bloquer / donner un coup, il faut travailler sa vigilance, son positionnement, la désescalade, l’évitement, la prise d’initiative, la législation, les secours, les accessoires de défense, etc. Et cela prend parfois la forme de « cours théorique », d’analyse de videos de cas réels, d’échanges et discussions entre pratiquants… des formats pédagogiques que l’on voit apparaître dans les clubs mais qui restent encore minoritaires. L’efficacité en self-défense dépend d’un bon équilibre entre intelligence et rusticité, entre capacité de recul / analyse d’une situation et capacité à switcher sur du physique « dur ».

Les cours de self-défense « martiaux » devraient tous inclure un module hebdo « 5-10 minutes de sécu perso » devant un tableau blanc ou un écran. Il y a tellement de sujets non techniques à aborder pour vraiment aborder la self-défense dans son ensemble (et s’assurer que les techniques enseignées seront utilisées à bon escient) et surtout arriver à l’objectif premier qui est d’éviter les blessures (physiques & psychologiques) induites par un « conflit ».

3 – Les cours de self-défense doivent être destinés à (et designés pour) celles et ceux qui en ont le plus besoin

La prochaine révolution va voir la transformation et l’adaptation des cours (=> formations) de self-défense à des profils et gabarits encore plus concernés par le besoin d’apprendre à se défendre… celles et ceux qui ont plus de risques d’être agressés. De la conversion post-compétition de pratiquants d’arts martiaux chevronnés, qui aiment le dojo/tatami/ring, la pratique doit devenir majoritairement adressée à des personnes qui n’ont pas de passion pour le fight, mais juste un besoin auquel répondre via une formation spécifique, non calquée sur le modèle sportif. Les femmes, les ados, les seniors, les handicapés, les harcelés & harcelés, celles et ceux qui ont déjà subi une agression, les personnes qui ont une fragilité… seront sur le devant de la scène et ce sont eux qui doivent être attirées en priorité dans les organisations de self.

Le sujet « self-défense féminine » est déjà largement adressé, avec des pédagogies qui évoluent ; reste à continuer ce travail de caler des pédagogies spécifiques pour les enfants (le Krav le fait déjà, la SMA aussi), ados, seniors, handicapés, etc. même si certains pensent qu’une pédagogie globale et non « communautariste » est meilleure (ça se discute en effet).

Le principal frein à cette évolution réside dans le bruit que font certains groupuscules de luttes contre les agressions qui rejettent toute défense ou toute prévention des personnes ciblées sous prétexte que c’est à la société de changer et pas au victime de s’adapter… vaste débat pour une autre fois.

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2 Commentaires

  1. J’aime bien le troisième point de votre article.

    Je suis un homme, jeune, musclé, j’ai à priori moins de chance de me faire agresser que si je suis une femme, âgée, frêle (quoi que… ça dépend pour quoi). Mais les cours d’arts martiaux traditionnels seront plus faits pour les jeunes hommes musclés que pour les vieilles femmes fragiles.
    Sans aller jusqu’à cette caricature: ma grande sœur a des problème de santé. Elle n’a pas assez de souffle pour faire une pompe. Elle a les jambes dans un tel état que courir lui est difficile. Si elle se présente à un cours d’autodéfense traditionnel, ils vont lui dire quoi: « désolée, vous êtes foutue, ne sortez jamais de chez vous »?
    Il y a un vrai problème de ce coté là.

    Et c’est bien dommage parce que, par exemple, moi qui suis homme et plutôt musclé je me fie à 100% à ma frangine quand on marche ensemble en ville. Je dicte ma conduite sur la sienne. C’est la reine de la désescalade et de l’évaluation de situation, c’est elle qui arrive à savoir à l’avance si le type qui s’approche est juste un clodo bourré mais inoffensif ou si la petite jeune femme toute frêle a en fait des instinct de psychopathe et que si tu lui refuses une clope elle va t’allumer la tête. Et dans les deux cas elle saura comment communiquer avec pour qu’il n’y ait pas d’embrouille.

    • Mais complètement ! les femmes en général ont développé (sans forcément les formaliser) beaucoup de bon sens de sécurité personnelle, car, le sujet est désormais largement évoqué, elles sont victimes de harcèlements réguliers de la part de gros malortus… dans la rue, au boulot, et parfois à la maison… et nous les hommes, on se fait rarement siffler dans la rue pour nos formes, suivre pour se faire draguer.

      Après, la sécu perso & la self peuvent aller bien plus loin que ce bon sens je pense… mais en effet, il faut sortir du schéma « fight / gros bras » (même si il ne faut pas se voiler la face, il faut aussi travailler cette éventualité… et trouver des solutions de riposte physique en fonction de la personne, de son niveau physique et technique…).

      Ya du boulot =)

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