La principale critique émise sur les disciplines de self-défense par les détracteurs sont le manque de réalisme (des partenaires trop statiques, des techniques qui ne marchent pas, etc.). Et cette critique est plutôt clairvoyante car « la pratique du réalisme » ou « l’entraînement réaliste » est en effet la plus grande difficulté auquelle font face les différentes méthodes de self-défense. Comment s’entraîner à des situations qui peuvent être très très violentes ? Comment s’entraîner à réagir dans une situation où l’on est terrassé par la peur de la mort ? Comment s’entraîner à des techniques efficaces sans blesser ?

Contexte & réalisme en self-défense

Les instructeurs disciplines de self-défense doivent donc innover dans la pédagogie et les exercices pour essayer de s’approcher le plus possible des conditions du réel, mais en étant parfaitement conscients qu’il n’est pas possible de s’entraîner à du 100% réel… à moins de choisir une forme d’exercice extrême et illégal : l’entraînement en vrai dans la rue. Impensable dans un curriculum de self-défense civile, bien sûr.

La self-défense n’est pas du combat, en tous cas pas du combat rituel tel que recherché dans les arts martiaux & sports de combat. Cela mériterait un article entier (je me le note). Richard Dimitri qui a lancé récemment son site « studyofviolence » vise je pense le coeur du sujet, la self-défense c’est la gestion d’une situation de violence, qui englobe tout ce qui permet d’éviter la violence, et si cela ne marche pas, des techniques de « combat » qui n’ont pour objectif que de faire stopper la violence et donc d’arrêter le combat. Cela rejoint l’objectif des sports de combat au KO, mais les outils ne sont pas les mêmes, puisqu’il n’y alors aucun fairplay ni règle, et que la triche est activement recherchée.

A ce sujet, la série de vidéos où j’avais demandé à Tom Duquesnoy & Micka Illouz d’échanger sur les différences entre MMA & Self-Défense permet de voir en détail que malgré quelques techniques communes, ces deux activités ne cherchent pas la même chose.

S’entraîner réalistiquement en self-défense ?

Le contexte étant posé, revenons à la problématique de base… comment s’entraîner à « n’importe quelle technique pour stopper un acte de violence dans un contexte réaliste » ? Et, question subsidaire (mais clé) comment conjuguer ça à une pratique « en club » (voire, est-ce possible…) ?

Les réponses sont multiples et plusieurs méthodes proposent des solutions auxquelles on adhère ou pas.

Certains arts martiaux traditionnels font de la self-défense une extension de leur pratique. La variété des techniques apprises, même si intellectuellement intéressante, est un frein à l’efficacité (« trop de choix tue le choix »). Le stress quant à lui est souvent travaillé via les formes de combat de la discipline. En karaté par exemple, que je connais bien, il va y avoir des combats codifiés (ou le stress se limite à ne pas être dans le timing ou de louper son blocage, qui est connu…), les combats dans les règles de compétition (avec une très grande quantité de coups interdits, dont beaucoup de coups efficaces, notamment aux yeux, à la gorge, aux genoux…) et les combats « libres » de club où l’on se permet parfois un peu plus de techniques sous réserve de contrôle. C’est bien pour plein de choses (gérer sa distance, confronter un tiers, etc.) mais c’est très très loin d’une situation réaliste d’agression violente.

Comment s’approcher donc d’une vraie situation de violence ?

  1. La créer vraiment : c’est l’exemple cité plus haut d’aller à la sortie d’un bar et se battre pour de vrai… illégal & dangereux. Une autre option pour former une personne serait de trouver des complices qui iraient agresser en dehors du contexte de l’entraînement un pratiquant (qui pourrait avoir été prévenu que dans le mois, un jour, il se ferait agresser… sans jamais savoir par qui et quand précisément), une sorte de coxage civil, mais cela présente des risques de blessures graves incompatibles avec une activité associative ou privée
  2. La simuler le plus réalistiquement possible dans son ensemble : c’est le cas des « mises en situation » qui peuvent prendre des formes très différentes selon différents critères détaillés dans le paragraphe suivant
  3. La décortiquer en objectifs pédagogiques, et donner le plus de réalisme à chaque module : par exemple un module « utiliser le mobilier urbain », un module « gérer le stress », un module « travailler sa tchatche préalable à la frappe », un module « augmenter sa vigilance », un module « fuir avant tout », etc. A ce sujet, Riposter 2 donne plein d’idées

Zoomons sur le point #2 et en particulier sur le scenario training.

Scenario training, comment ça marche ?

Les « mises en situation » c’est pas nouveau en self-défense. D’ailleurs, les manuels de self-défense depuis qu’ils existent illustrent des « situations » et propose des réponses techniques à ces situations ; par exemple, une femme se fait arracher son sac à main, comment peut-elle réagir, une personne est plaquée contre un mur avec les 2 bras de l’agresseur en saisie au cou, comment peut-elle réagir, etc.

Les « mises en situation » ce n’est pas ça, et encore moins le « scenario training ». Je les distingue comme suit, mais ce n’est pas forcément une définition universelle, c’est vraiment un choix de vocabulaire personnel et je suis preneur d’autres termes :

  • « Situation » : situation unitaire d’une agression physique, l’agresseur est devant la victime, lance sa ou ses techniques, la victime réplique… classique, l’objectif est surtout de travailler la réponse technique. Il peut y avoir un peu de surprise sur le moment de démarrage, mais ça reste un exercice assez codifié et absence de stress ou de « contexte réaliste »
  • « Mise en situation » : situation unitaire ou multiple d’agression (1 ou plusieurs agresseurs) qui implique tout un contexte. L’agression ne démarre pas immédiatement, il peut y avoir une mise sous tension préalable, un contexte (de lumière, de son, d’endroit…), un agresseur non identifié dans un groupe, une surprise de démarrage (en entrant dans une pièce par ex.), ou bien un jeu de discussion avec le ou les agresseurs, etc. avant d’en arriver éventuellement aux mains. L’objectif pédagogique n’est alors plus technique mais de « voir ce qui sort » dans une situation qui n’est pas écrite et codifiée ; le pratiquant « victime » ne sait pas ce qu’il va lui arriver
  • « Scenario training » : un parcours de mises en situation successives. C’est donc très proche des mises en situation, mais j’y vois la différence de l’événementialisation (exercice finale d’un stage, ou dans un club sorte de passage de grade semestriel par exemple), et la pluralité des contextes en changeant d’endroit ou de configuration d’une mise en situation à une autre. Ca dure plusieurs minutes, c’est éprouvant. Il y a donc une double couche de stress en plus (événementialisation + cardio)

Exemple de séquences d’un scénario training organisé lors d’un stage de Lee Morrison dans les locaux de l’Université de Nanterre, en 2016 :

Benjamin Giraudon démarre son scénario training "urban combatives"
Benjamin Giraudon démarre son scénario training enfermé dans des toilettes où il vient d’avoir été placé quelques secondes auparavant, essoufflé par plusieurs séries de pompes, sauts, et autres exercices qui font monter le cardio
Benjamin Giraudon démarre son scénario training "urban combatives" (2016, stage Lee Morrison)
A l’ouverture de la porte, Benjamin Giraudon se trouve face à deux individus agressifs qui lui barrent la route. Son objectif est de sortir des toilettes et s’enfuir
Benjamin Giraudon au milieu de son scénario training "urban combatives" (2016, stage Lee Morrison)
Plus tard dans le scénario, Benjamin Giraudon doit prendre l’ascenceur, et la personne qui partage avec lui l’ascenceur devient soudainement agressive

D’ailleurs, quels sont les critères de réalisme qui jouent pour se rapprocher au plus près possible d’une situation de violence réelle ? Je vois (liste non exhaustive, n’hésitez pas à commenter) :

  • La tenue des partenaires : critère un peu tarte à la crème, mais être en tenue civile, avec la gêne physique que ça peut avoir, plutôt qu’en kimono et ceinture (noire, pour supporter son égo et sa confiance… et la honte aussi quand on prend une râclée aussi ^^), c’est toujours mieux
  • Le degré d’opposition et de résistance de l’agresseur : si votre partenaire qui attaque est mou, pas convaincant, frappe à côté pour faire plaisir, ne met pas de force & détermination… ben c’est sympa au début d’un exo très codifié pour se mémoriser l’enchainement technique démontré par le prof, mais après c’est dramatique car ça donne de mauvaises habitudes et ça rend l’exercice inutile
  • Le jeu de rôle de l’agresseur : un peu comme le point précédent (qui vise la qualité de l’attaque) c’est le côté « crédible » et attitude de votre partenaire. Plus votre partenaire sera capable de vous mettre la pression, de bien jouer le rôle de l’agresseur (avec des vraies insultes s’il faut, etc.), mieux cela vous préparera. Mais tout le monde n’a pas les mêmes talents d’acteurs, et rien de pire qu’un partenaire qui ne sait que ricaner quand il doit ressembler à un agresseur
  • Le lieu : si vous êtes quadra ou plus, souvenez-vous des toutes premières VHS de Franck Ropers dans les années 90 qu’il avait tournées dans un vrai bar (entre autres)… ça avait marqué les esprits, et ça donnait aux images un caractère très réaliste. Ce n’était plus de la self en kimono sur tatami, mais des « monsieurs tout le monde », en civil et dans un vrai lieu. Et Franck se servait des chaises, des verres, etc. ce qui ouvrait un champ du possible rarement exploité dans un « dojo »
  • Le stress physique : il est classique, pour rendre plus intense et physique les mises en situation, de les précéder de pompes, de sauts, etc. pour faire monter le cardio et la fatigue musculaire. Cela sert à simuler une fatigue physique (comme le soir après une journée de boulot intense, où on n’a pas du tout envie d’avoir à gérer un agresseur)
  • Le stress psychique : c’est le point important ici… dans un contexte de stage ou de cours, il n’est pas possible de faire prendre des dangers physiques aux pratiquants, et donc on sait qu’il est impossible de recréer exactement un stress de peur de la mort. Or, une des grandes questions en self-défense, c’est le 3e F de « Fly or Fight », « Freeze »… vais-je être bloqué, tétanisé en situation de véritable danger ?

    Différents éléments sur lesquels jouent les spécialistes des scenario training sont la surprise, l’événementialisation de l’exercice (en parler longtemps avant, en expliquant que c’est dur, en donnant un caractère validation de niveau, etc.), la présence d’observateurs / spectateurs, une ambiance stressante (stroboscope / yeux bandés, bande sonore, cris stridents… j’ai vu tout ça dans un stage de SMA, et ça crée vraiment une ambiance différente), et il y a sûrement plein d’autres choses à inventer !
Lee Morrison, fondateur de Urban Combatives
Lee Morrison, fondateur de Urban Combatives à Nanterre, 2016

Lee Morrison est le fondateur de la méthode Urban Combatives et est connu pour l’organisation de ce genre de scenario training. Son bouquin fait partie des 10 livres à lire sur la self-défense. Voici un exemple de scenario training réalisé à la fin d’un stage :

Retrouvez aussi 2 entretiens avec Lee Morrison :

Lee Morrison démontre une technique de self-défense "urban combatives"
Lee Morrison démontre une technique de self-défense « urban combatives » (Université de Nanterre, 2016)

J’espère que cet article vous donnera envie de vous mesurer dans des scénarios trainings, mais ATTENTION à ce que cette expérience ne soit pas négative :

  • Ne participez pas à des scenarios training avec des organisateurs débutants ou peu sérieux ou « que vous sentez pas ». Un scenario training présente des dangers d’accidents. Il faut que les agresseurs soient des personnes d’un certain niveau technique, avec un ego « sous contrôle » et qu’ils soient bien sûr très bien équipés (par exemple en Redman) pour ne pas être blessés non plus. Il faut que les consignes et règles soient très claires
  • Ne participez pas si vous n’êtes pas prêts. Et si vous vous sentez prêts et que le prof ne vous sent pas prêt, écoutez-le. Une expérience de scenario training où l’on se rend compte de son inefficacité, de son incapacité à gérer la majorité des situations, ou bien que l’on freeze, etc. est une expérience mentalement très impactante sur la confiance en soi. Ca peut être un électrochoc positif pour changer sa façon de travailler, certes, mais ça peut aussi démolir la confiance une personne un peu fragile avec des conséquences psychiques non souhaitables à certains moments d’un cursus de progression en self-défense
  • A l’inverse, ne faites pas trop de scenarios trainings. Il faut que cela reste événementiel, pour tirer le mieux de l’expérience et avoir le temps de travailler sur les faiblesses identifiées (ce sont rarement des faiblesses qu’il est possible de solutionner en 1 cours après). Mais aussi et surtout, il faut éviter la gamification, c’est à dire habituer son esprit à cet exercice et qu’il devienne un jeu ou une compétition ludique, car on retomberait alors dans certains travers de la compétition sportive. Le stress serait alors moindre, le réalisme aussi

Peu de clubs encore organisent des « scenario training ». Qu’ils n’hésitent pas à se signaler en commentaires !

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4 Commentaires

  1. Les travaux de Lee Morrison et Richard Dimitri sont vraiment excellents.

    Je me permets de mettre en avant aussi ceux de Jim Wagner sur la pédagogie innovante et réaliste.
    (en tenue habituelle, des lieux réalistes, mais avec des protections, avec des scénarios et des décompositions de situations)
    (ne vous laissez pas effrayer par le côté marketing et l’orientation non civil d’une partie de son travail)
    Exemple d’exercice pédagogique (pas un scnério ni une mise en situation) : https://www.youtube.com/watch?v=uriEfQi2Tm4&ab_channel=JimWagner

    (Désolé de ne pas citer tous les européens qui font du bon boulot : ACDS, GEVISI …)

    J’ai personnellement apprécié d’utiliser des principes de théâtre d’improvisation pour de mise en situation, notamment sur la simulation des états de colère et d’agressivité.
    Mes favoris :
    – un scénario avec avant / pendant / après agression : la violence verbale (pour pousser le stress psychique), une victime qui pleure / crie de douleur pour l’ambiance, l’identification des motivations des agresseurs, la desescalade verbale, proportionalité / légitime défense en situation …
    – des surprises : le tiers qui intervient dans une embrouille pour calmer le jeu et se mets aussi à agresser la victime / la victime à qui l’on porte secours qui se met à agresser / le couteau sorti au dernier moment
    – des cas où il ne se passe rien
    – les principes de Richard Dimitri de son Senshido et le Shredder
    – Le tout filmé pour se voir ensuite et constater ses faiblesses à corriger
    Du systema j’ai tiré le sens de l’écoute/observation et la gestion émotionnelle.

    Le rapport réalisme / risque de blessure est bien sûr un savant dosage à mettre en place.

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