Le tir au pistolet ou à l’arme d’épaule, sous toutes ses formes citoyennes (sportive, de loisir ou de défense) ou militaires, est un art martial. Ce principe ne semble pas partagé par tout le monde, alors que c’est pour moi une évidence. Dans ce genre de situation (quand on ne comprend pas qu’une évidence pour soi n’est pas partagée par tous), je trouve intéressant de me poser et d’essayer d’analyser, par écrit, les différents points de vue. C’est l’objet de cet article en fait, qui est à la fois un exposé de ma conviction et une réflexion ouverte.

Dans le monde des arts martiaux et sports de combat, j’ai souvent été témoin de réactions vives et répulsives face aux armes modernes, que ce soit les accessoires de self-défense, les bombes lacrymogènes ou les armes à feu. J’ai ressenti cela lors de discussions dans les vestiaires de dojo d’arts martiaux traditionnels (mais là, je le prenais comme des cas isolés) et la première fois où je me suis dit « ya un truc vraiment par normal », c’était après un dossier self dans Karate Bushido Octobre 2010 quand le rédac’ chef, le mois suivant, me dit « nickel le dossier le mois dernier, ça a bien plus ; ah mais on a reçu 2-3 courriers de lecteur »… des personnes avaient pris leur plume pour expliquer que les accessoires de défense exposés dans le dossier (pas d’armes à feu, mais des impact tools & lacrymo), c’était mal et pas des arts martiaux. Ces 2-3 courriers (que je regrette de ne pas avoir photographié pour les relire en détail) n’ont pas plus ému que ça la rédac’ du mag, et moi non plus, mais ça a planté une graine du « ah ouais, ya des pratiquants d’arts martiaux qui rejettent les armes modernes, tiens donc ».

Plus je réfléchis à la structure de cet article, plus je me dis que ça pourrait faire un livre entier, tellement cette question soulève des sujets à la fois du monde des arts martiaux & sports de combat, mais aussi globalement sur l’évolution de la société. Or ni le temps ni la place ici, je fais donc faire en mode synthétique / bullet points (comme j’aime).

Arts martiaux

  • il faut bien distinguer arts martiaux traditionnels, sports de combat, MMA et disciplines de self-défense ; les motivations des quatre sont différentes
  • il est intéressant aussi de se rappeler la variété des motivations à toute pratique martiale (https://protegor.net/2013/08/quelles-motivations-a-pratiquer-les-arts-martiaux-sports-de-combat/)
  • au sein les arts martiaux, il y a des approches encore différentes, notamment entre les « Voies » dont l’objectif est le développement personnel au travers d’une pratique martiale, et les « Techniques » dont l’objectif est la quête d’une efficacité au combat (et avec plein d’autres nuances)
  • les arts martiaux traditionnels se tournent de plus en plus vers des « Voies » de développement personnels plutôt que vers des « Techniques » d’efficacité pour deux principales raisons : de moins en moins de « maîtres » ont une vraie expérience professionnelle du combat (donc l’apprentissage est de plus en plus théorique / non éprouvé, même si basé sur des enseignements de personnes qui eux les avait éprouvés), et la volonté de démocratiser et développer en masse les arts martiaux (l’objectif structurel des fédérations sportives) semble devoir passer par leur aseptisation
  • les arts martiaux, quelque que soit leurs objectifs de pratiques, s’appuient sur un fondement de recherche personnelle dans le combat ; le « combat » dans les arts martiaux peut prendre d’innombrables formes, selon le rituel, les règles (ou leur absence), le contexte, les moyens…

Armes & arts martiaux

  • les armes ont toujours fait partie des arts martiaux, elles sont même structurellement présentes dans le sinogramme qui signifie « martial » (voir mon article dans Karate Bushido de Juin 2020 à ce sujet)
  • les arts martiaux traditionnels sont pour la majorité restés figés dans leur pratique initiale du début du XXe siècle avec des armes blanches et contondantes extrêmement variées
  • il y a des modes dans les armes des arts martiaux, pas mal drivées par Hollywood, les jeux vidéos, … (par exemple le nunchaku dans les années 70, les shuriken & sabres ninja dans les années 80, le balisong dans les années 90), mais cela a disparu avec la disparition du genre « films d’arts martiaux », totalement fusionné avec les films d’action (« John Wick » par ex.)

Tir & arts martiaux

  • il y a bien des arts martiaux traditionnels qui utilisent des armes à feu, notamment au Japon avec le Ho-Jutsu, Teppo-Jutsu et en Nin-Jutsu, mais c’est assez peu développé
  • en France, à la fin du XIXe / début du XXe siècle, les rapprochements étaient courants entre Boxe Française, Escrime & Tir… il y avait même un magazine qui s’appelait « Tir & Escrime »
  • le constat est que très peu (une minorité) de pratiquants d’arts martiaux sont aussi tireurs ; à l’inverse, très peu de tireurs sportifs sont aussi pratiquants d’arts martiaux ou sports de combat
L'escrime et le tir, Janvier 1931
L’escrime et le tir, revue de Janvier 1931

Aversions

  • je n’ai pas analysé scientifiquement les motivations de cette aversion pour les armes à feu dans les arts martiaux, mais voici quelques exemples entendus…
  • « les armes à feu c’est dangereux »
  • « les armes à feu sont les armes des criminels » (vu aussi pour les impact tools & lacrymogènes…)
  • « enseigner les armes modernes c’est aider les criminels »
  • « les armes à feu doivent rester réservées aux forces de l’ordre et aux militaires »

Aspirations

  • une arme blanche, contondante ou à feu n’est jamais dangereuse en soi. Seule son utilisation peut l’être et c’est l’utilisateur qui est alors dangereux (et responsable)
  • les arts martiaux les plus complets se doivent d’inclure toutes les armes, et surtout les armes modernes ; c’est d’ailleurs une superbe opportunité de faire vivre et évoluer les arts martiaux, et de confirmer certains principes (qui se vérifieront fonctionner aussi avec les arts modernes)
  • réserver les armes à feu à une pratique pour les professionnels, a fortiori dans un pays où il y a un véritable problème de la formation des forces de l’ordre (vaste sujet), serait le meilleur moyen de favoriser l’usage criminel des armes
  • ce ne sont pas les armes ni la formation à leur bon usage en toute sécurité qui doit être interdit (il doit toutefois être limité bien sûr, aux personnes « honorables »), pour réduire la criminalité ; renforcer le travail sur les valeurs de la société, encourager la pratique martiale sont au contraire bien plus efficace pour former des hommes droits et respectueux du monde dans lequel ils vivent
  • comment peut-on être « gradé » en arts martiaux, donc sensé être engagé sur le chemin de la recherche dans le combat sans considérer toutes les armes, notamment les armes courantes de la période dans laquelle on vit ?

Les mots de la fin

En conclusion, considérer que les armes à feu ne sont pas partie intégrante des arts martiaux c’est pour moi :

  • soit une marque d’esprit dogmatico-traditionnel, tourné vers le passé. Un art martial doit suivre son temps et évoluer, il ne doit pas être figé
    Voir Libérez…
  • soit une forme d’hétéronomie par rapport aux médias, vivre bercé dans les clichés visuels et loin du pragmatisme du terrain. Une arme peut faire le mal ou le bien, seuls les utilisateurs sont responsables de ce qu’ils en font et les médias mentionnent majoritairement les mauvais usages
  • soit une confusion dans le sens des symboles & des valeurs. Il n’y a pas de bonne arme & de mauvaise arme. Une arme est un outil comme un autre et il n’y a aucune différence de sens entre un sabre et un pistolet

N’hésitez pas à visionner nos vidéos sur Karate-Bushido à propos des impacts-tools, lacrymogènes & plaques de protection balistique

COMMENTAIRES RESEAUX SOCIAUX

Pour commenter cet article, vous pouvez soit utiliser le module réseaux sociaux ci-dessous (s'il ne s'affiche pas c'est que votre ordinateur bloque l'affichage de facebook sur les sites tiers), ou bien le module traditionnel du blog situé un peu plus bas.

7 Commentaires

  1. Tir & art martial, même combat / objectifs : accomplissement personnel basé sur une recherche autour du combat, en passant par la connaissance de soi, la maitrise de son corps et de ses gestes, le contrôle de ses émotions, la relation à la mort & à la peur de la mort, etc.

  2. Martial = guerrier, ça le choque pas plus que ça du coup.

  3. A la question « l’art du poison est-il donc aussi un art martial ? » posée sur facebook :

    Peut-être, je n’ai jamais pratiqué l’art du poison (même si certains de mes essais à cuisiner ont du s’en approcher :D), et ne saurais dire. C’est clairement une (vieille) technique guerrière/martiale, maintenant est-ce un art à part entière ? maybe. On peut d’ailleurs se poser la question pour toute les listes de techniques « shinobi », et des choses plus modernes comme les explos, la conduite automobile « de défense », le pilotage de drones militaires, le lock-picking des agents secrets, le hacking internet… Des techniques/compétences martiales parfois (au sens littéral, « techniques de guerre »), mais des arts martiaux à part entière, pas toujours.
    A chaud comme ça, je vois 3 axes de réflexion pour différencier les choses :
    1 – ne pas confondre « combat » et « meurtre » ; même si le combat, qui peut prendre d’innombrables formes, peut se terminer en mort/meurtre dans ses formes les plus poussées… un art martial a peut être un objectif de travail sur le combat dans un sens plus global et varié d’affrontement de 2 humains (plutôt que le simple meurtre, la forme la plus extrême du combat). Le tir couvre la dissuasion, des formes rituels (le duel à l’époque), la défense (riposte), etc. alors que le poison me semble être que meurtre (mais je me trompe peut-être vu que je ne connais pas cet art)
    2 – l’aspect « accomplissement » (« do », « voie », « dév perso ») de l’art martial ; et c’est je pense surtout sur cet aspect là que mon article inscrit le tir => « accomplissement personnel basé sur une recherche autour du combat, au travers d’une pratique physique & mentale (et parfois spirituelle), en passant par la connaissance de soi, la maitrise de son corps et de ses gestes, le contrôle de ses émotions, la relation à la mort & à la peur de la mort ». Le tir c’est physique et mental, il y a des positions, des gestes précis, des mouvements/déplacements, une rigueur de pratique à avoir, une gestion de ses émotions hyper forte (résultat immédiat sur la cible)… il y a tous les éléments d’un art martial à mains nues ou à arme blanche. Pour le poison ? peut-être dans une forme de pratique que je ne connais pas alors
    3 – la modernité & « popularité » ; les armes à feu sont très répandues de nos jours, et elles représentent tellement l’arme individuelle ultime que dans le principe de « recherche autour du combat » que je mets au coeur des arts martiaux, je trouve inimaginable de passer à côté. Le poison est certes sûrement encore utilisé par certains services secrets de temps en temps, mais pour un pratiquant lambda d’arts martiaux qui fait des recherches combatives, il y a plein d’autres choses à voir avant, plus prioritaires à mon sens (on priorise sa recherche comme on veut, on peut prioriser par « kifs personnels » sans se justifier, ou bien par une logique : historique, réaliste, etc.)

  4. Bon point de « Pat Dair » sur facebook :

    En fait, il me semble qu’il peut à la fois être :
    – un sport avec les compétitions de tir sportif.
    – un bu-do avec le tir sur cible pratiqué de façon solitaire hors de tout cadre compétitif.
    – un bu-jutsu avec l’acquisition et le maintien de compétence en tir de combat dans une perspective utilitaire.

  5. Point de Sylvain sur facebook :
    Au niveau des aversions j’aurais rajouté : « les armes à feu sont une arme de lâche, ça tue à distance, ça demande aucune technique, aucun apprentissage, aucun entraînement pour faire des dégâts. »
    PS : je dis pas que c’est vrai mais c’est une « excuse » que j’entends fréquemment.

  6. « les armes à feu sont une arme de lâche, ça tue à distance, ça demande aucune technique, aucun apprentissage, aucun entraînement pour faire des dégâts. »
    L’argument fut utilisé au Moyen Age par l’Eglise pour proscrire l’usage de l’arc, et à fortiori l’arbalète (qui demande encore moins d’entraînement que l’arc). Dans les faits, les troupes incorporaient les deux par pragmatisme et la guerre de 100ans mit définitivement fin à cet idéal.

  7. C’est quand même plus satisfaisant d’utiliser son corps. Avec des armes à feu, je trouve qu’on perd un peu ce principe de paix intérieur prôné par certains arts martiaux.

Laisser un commentaire