La collapsologie est une nouvelle réflexion en vogue après la mode du survivalisme. De l’anglais « to collapse » (s’effondrer), la collapsologie est l’étude rationnelle, intellectuelle, théorique de toutes les raisons qui pourraient conduire à l’effondrement de la société que nous connaissons, et d’évaluer leurs probabilités. Nous sommes assez loins des aspects pragmatiques de comment survivre à telle ou telle situation, mais c’est l’exercice indispensable pour évaluer les risques auxquels chacun peut réellement faire face (selon l’endroit où il vit notamment).

Alors que beaucoup d’amateurs se lancent dans des études collapsologiques avec plus ou moins de rigueur, j’ai décidé de me tourner vers un assureur dont le métier est justement d’évaluer ces risques, ces probabilités… et de décider s’il peut les couvrir par une police d’assurance ou pas. Paul G. (le nom a été modifié à sa demande), ancien membre du comité de direction d’un très grand groupe d’assurance a accepté de répondre à 5 questions de Protegor.

Protegor : Vous avez baigné toute votre vie dans la gestion des risques. Pensez-vous que cela a fait de vous un parano ? (ou bien un assureur rassuré)
P.G. : De l’extérieur il est classique de considérer qu’un assureur qui travaille tous les jours sur les risques deviendrait inévitablement un « parano » qui verrait des dangers mortels et inévitables partout et tout moment. En fait c’est l’inverse qui se passe, la bonne gestion des risques permet justement d’éviter le pessimisme ou l’optimisme face aux dangers, et d’éviter soit de les ignorer, soit de les exagérer, car dans les deux cas cet assureur ferait faillite.

Pour les assureurs le danger est une notion à la fois concrète et mathématique.
Notion concrète d’abord parce que cela touche des personnes ou des collectivités dans leur intégrité physique ou financière.
Notion mathématique car chaque danger est pour lui un risque mathématique qui est la combinaison de la probabilité de survenance et du coût moyen de l’impact.

Sans faire de cours de technique d’assurance, le danger est une idée d’ordre psychologique, le risque est une notion mathématique.

Pour clarifier, un dégât des eaux (fuite d’une machine à laver) est un danger dont la fréquence est élevée et qui est d’ailleurs proportionnelle au nombre de machines installées, mais dont le coût moyen est faible (2.500€).
Par contre un tremblement de terre, même sur la Côte d’Azur, a une fréquence très faible, mais un coût moyen très élevé.
Le Risque, pour l’assureur, est la multiplication de la probabilité par le Coût moyen.

En résumé la mission d’un assureur est de (a) Connaître les dangers, (b) Mesurer le risque (f x CM), (c)Protéger.

Enfin Protéger signifie (1) méthodes de Prévention (diminuer la probabilité de survenance), (2) méthodes de Protection (diminuer le Coût moyen, donc l’impact d’un événement), (3) Réparer.

Protegor : Dans les sociétés d’assurances, quelles sont les principales grandes catastrophes qui sont sérieusement étudiées, évaluées… et qui ressortent avec des probabilités relativement « hautes » ?
P.G. : L’assurance est un métier qui est déjà assez ancien (250 ans) et qui a connu nombre d’événements catastrophiques. Cependant la profession considère que nous sommes désormais dans une époque de catastrophes, ce qui veut simplement dire que la probabilité de survenance d’événements collectifs et hautement dommageables a augmenté.

Si nous pouvons donner brièvement les tendances qui augmentent cette probabilité, elles sont au nombre de 6 :
– la concentration des activités et des valeurs,
– la sensibilité et la fragilité des hommes, des biens et des flux,
– l’interdépendance,
– la mondialisation des activités,
– la complexité non-maitrisée
– l’accélération du temps.

Maintenant à votre question sur les catastrophes avec une probabilité relativement « haute » ?
L’idée de probabilité relativement « haute » n’a pas de valeur pour un assureur, dites une probabilité supérieure à 1 pour 10.000 par an, ou 1 pour 1.000, ou par comparaison.

Néanmoins si vous voulez une liste de catastrophes suivies par les assureurs :

Catastrophes naturelles, ouragans, tsunami, sécheresse… Apophis
Catastrophes technologiques, produits défectueux, amiante, médicaments…
Catastrophes industrielles, AZF de Toulouse, Bhopal, panne Visa…
Catastrophes criminelles, terrorisme, virus informatique, hacking généralisé
Catastrophes écologiques, pollution, CO², réchauffement climatique
Catastrophes démographiques, densité inégale de la population, vieillissement
Catastrophes épidémiologiques, grippe aviaire H5N1, Ebola…
Catastrophes économiques, financière…
Catastrophes politiques, juridiques, médiatiques…

Protegor : Vous m’avez parlé d’Apophis. Kesako ? Quel enseignement tirer de ce risque ?
P.G. : L’astéroïde géocroiseur APOPHIS qui a été découvert en 2004 doit passer au plus près de la terre le 13 avril 2029 (un vendredi !). Il a été classé d’abord au niveau 4 d’échelle de Turin, c’est à dire « trajectoire rapprochée et plus de 1% de possibilité de collision ». Sans être un astéroïde « tueur », son impact en mer créerait une vague de 170 m avec une vitesse de 100 km/h et son impact sur terre aurait des conséquences dévastatrices. Aujourd’hui la NASA exclut une collision, mais précise que Apophis passera à 32.000 km de la terre, soit moins que l’altitude des satellites géostationnaire, soit moins que 10% la distance terre-lune, bref il passera très près. Espérons que la précision des instruments et des calculs de la NASA soit fiable et qu’il n’ait pas de déviation gravitationnelle entre-temps.

Le principal enseignement que l’on peut tirer avec l’examen de ce cas de figure est l’énorme différence qu’il faut avoir en tête entre les probabilités et la réalité en matière de catastrophe.

Ainsi si nous faisons un exercice de calcul sur le cas Apophis :
– probabilité d’impact sur la terre : 1/45.000 (NASA-2006), je rassure les lecteurs, cette probabilité calculée par la NASA est devenue 0 en 2013
– probabilité d’impact pour la France : 1/100 (par un calcul des surfaces, en cas d’impact sur la terre)
– résultat de probabilité que Apophis impacte directement la France : 1/ 4.500.000
– conséquence d’un impact : imaginons une perte de PIB France entre 30% et 70%, moyenne 50%
– coût : 1.250 milliards de $

Donc au final ce calcul donne une perte en probabilité (probabilité d’impact x perte) sur l’événement Apophis : 277.000 $, c’est à dire quasi-rien du tout.
Or tout le monde voit bien que ce calcul théorique et mathématique de probabilité ne correspond pas à la réalité d’une telle catastrophe.
Quelles peuvent être les différences entre la réalité et les probabilités :
1- un impact sur la Terre quelque soit l’endroit touchera le monde entier : tsunami ou « hiver d’impact » par la poussière
2- quel pays peut survivre à l’identique avec une diminution brutale de 50% de PIB et une perte de quelques millions d’habitants ?
3- il n’y a pas d’indemnisation possible car le système économique n’existe plus

Nous avons ici un cas extrême, mais il faut se rappeler que pour un phénomène mineur comme l’ouragan Katrina (2005), les secours de la 1e puissance mondiale ont mis 5 jours pour arriver à La Nouvelle Orléans ! En résumé nous considérons que la plupart des gens sous-estiment gravement la fragilité des sociétés dites évoluées comme les nôtres.

 

Protegor : Aujourd’hui, dans la société française dans laquelle on vit, de quel type d’effondrements avez-vous le plus peur et pourquoi ? comment cela va-t-il arriver selon vous ?
P.G. : Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais de regarder les fragilités majeures des sociétés d’aujourd’hui. Mais d’abord n’oublions jamais les craintes historiques de base de toute société depuis l’origine de l’humanité que sont : la Guerre, la Faim, la Maladie (les 3 cavaliers de l’Apocalypse). Ces peurs de base sont encore celles de la plupart des peuples sur cette terre pour une raison simple : ces peuples subissent à l’heure actuelle des guerres, des famines et des épidémies.

Pour les sociétés occidentales dont la société française, les risques majeurs à court terme sont ceux liés à la désorganisation des structures du fait, soit d’une catastrophe naturelle importante, soit d’un accident industriel involontaire ou volontaire, soit d’une crise financière majeure ou la conjugaison de ces différentes causes.

Les sociétés dites « évoluées », au moins sur le plan technologique, sont devenues beaucoup plus fragiles que nous le pensons. Les investissements de protection sont infiniment moins importants que les investissements de progrès. La différence entre les deux est pour nous la « quantité » de dangers, elle augmente donc.

Dans ce domaine vient en premier une crise financière mondiale, brutale, généralisée et imprévue (du moins par les non-initiés). Cela arrivera un week-end, sans avertissement. Exemple : Chypre-2012 à l’échelle mondiale, plus de banque, plus de cash, violences, etc.

Ensuite il y a le terrorisme avec des moyens techniques ou biologiques inédits : sabotage des moyens de paiement (panne VISA début juin 2018), arrêt de la production d’électricité ou d’eau potable, épidémie, etc.

Enfin, mais sans doute pas à court-terme, il faut craindre que le bricolage génétique qui sévit un peu partout dans le monde aujourd’hui sans aucun contrôle, tant pour l’homme que pour la nature, ne provoque des catastrophes irréversibles (« la 6ème extinction »).

Il faut aussi faire attention au glissement progressif vers l’effondrement : le passage de « pépins » ou d’ « incidents » à une catastrophe et d’une catastrophe à un effondrement.

Protegor : Auriez-vous des conseils aux lecteurs de Protegor par rapport aux risques majeurs d’effondrements ?
P.G. : Donner des conseils en cas de survenance d’une catastrophe serait bien trop présomptueux de ma part. Je suis comme chacun d’entre nous, désarmé face à un effondrement, même temporaire, de la société. Néanmoins,
– D’abord être informé d’une manière ou d’une autre de l’évolution réelles des situations dangereuses : actualités financières, violences…
– Ne pas croire les communications officielles ou affiliées, regarder la réalité et réagir.
– Avoir 3 semaines d’argent cash en réserve et 2 semaines de nourriture de base pour un effondrement temporaire.
– Avoir un réseau de parents, d’amis ou de voisins fiables.

Pour le reste et si la situation ne se redresse pas ou empire , on bascule en mode survie et les conseils deviennent d’une autre nature.

Un grand merci Paul.

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