Aujourd’hui se tenait une table ronde sur le MMA (Mixed Martial Arts) et les médias à l’Assemblée Nationale, organisée par le député et le sénateur en charge du rapport parlementaire en cours sur le sujet. Votre serviteur y était présent pour apporter sa vision du sujet. Je ne rapporterai pas ici la teneur des échanges de la quinzaine de personnes présentes, car ce sera le rôle du rapport de faire une synthèse de tous ces éléments, mais je vais vous exposer le texte préparatoire que j’avais « drafté » comme on dit, pour être clair dans les arguments apportés pendant les discussions. 80-90% des informations ci-dessous ont pu être mentionnées lors des échanges.

MMA, évolution naturelle des Arts Martiaux & Sports de Combat

Le MMA est une discipline « nouvelle » sauf qu’elle n’a rien d’innovant. Les racines anciennes du combat, notamment les différentes formes de pancraces grecs sont très proches pour ne pas dire identiques au MMA. Ça, c’est la vision diachronique (de l’histoire, de l’évolution des arts du combat). La vision synchronique, récente du MMA, c’est que le MMA cherche à réaliser une synthèse des sports de combat – alors qu’à sa naissance le MMA opposait les disciplines, on y reviendra. Nous sommes rapidement passés du conflit des sports de combat à leur synthèse… synthèse qui est le cœur des arts martiaux, qui se sont toujours construit les uns à partir des autres.

Le MMA c’est aussi un message fort au monde des arts martiaux et sports de combat, d’ouverture d’esprit aux autres disciplines. Une désilotisation. Une lutte contre les dérives sectaires de certains arts martiaux traditionnels dans la relation « maître-disciple » exclusive qu’ils visent parfois à établir. Et là encore, le sujet n’est pas nouveau et a déjà secoué la planète arts martiaux, en 1971 avec Bruce Lee (Réf.). Il faut donc reconnaître au MMA cette vertu de remettre en cause les pratiques dogmatiques des arts martiaux et d’aller dans la recherche de la vérité martiale.

Nous pouvons aussi tirer l’analogie à tous les sports en « thlon » (biathlon, triathlon, pentathlon, décathlon) qui cumulent plusieurs techniques, et où la notion de complétude est importante. Ils forment des champions qui sont moins dans la spécialisation profonde d’1 technique, mais dans la recherche d’une efficacité dans un plus grand champ d’action. Le MMA fait de même.

Enfin, le MMA apporte une dimension transculturelle, puisque c’est une discipline qui rapproche des disciplines de combat d’orient et d’occident, la boxe occidentale, les boxes asiatiques, les arts de préhension et de percussion d’extrême orient, les luttes européennes, le combat au sol brésilien, etc. Nous avons ici un melting-pot très riche et qui permet comme souvent quand l’on mélange des ingrédients, d’en tirer plus que la simple somme des éléments juxtaposés. A ce titre, le MMA est l’égrégore des arts martiaux.

Le MMA, en tant que discipline sportive, est donc la suite à la fois historique et naturelle de l’évolution des arts martiaux & sports de combat, et rien n’arrêtera cette évolution globale.

Alors maintenant si l’on se penche sur l’aspect médias de cette discipline, on va s’attacher à l’image renvoyée par le MMA. Les premiers combats de « free fight » (littéralement « combat libre »), avant que la discipline ne se structure et évolue en MMA, communiquaient dans les années 90s sur les « combats sans règles », par opportunisme marketing (et par réalité du règlement pour les toutes premières compétitions qui étaient très libres en effet). Cet opportunisme a sûrement porté ses fruits puisque très vite les diffusions en PPV furent un succès et avant l’internet, les VHS et DVD se vendaient en grande quantité à l’international. Mais l’effet pervers de ce mauvais marketing est qu’aujourd’hui encore on pense que MMA = combat sans règles (voir d’ailleurs le courrier de Mr Valls à l’attention des parlementaires)… alors que les règles sont au contraire très nombreuses et visibles à l’écran : catégories de poids, arbitre vigilant & interventionniste, très nombreux gestes interdits, équipements de protection, etc.

Il est important que les parlementaires et sénateurs, et que globalement tous ceux qui prennent des décisions sur une discipline sportive qui n’a pas de compétition en France, soient conscients de cette confusion entre absence de règles (tout est permis) et combat à multiples dimensions (à distance, en corps à corps, au sol / percussions, préhension, lutte).

Un autre élément qui ressort parfois dans les arguments d’image à l’encontre du MMA est le lieu où se déroule le combat, appelé à tort « la cage » (on est toujours dans un marketing court-termiste), l’endroit n’étant pas une cage (puisque pas fermé complètement, et dans un matériau flexible), mais une solution plus fiable que les cordes d’un ring pour éviter la chute des participants, notamment durant les phases de combat au sol. Certains néophytes du MMA et spécialistes de l’analyse sémantique à la télévision ont peut-être à tort fait le rapprochement cage / animalité. Mais si la perception ne serait-ce que d’un petit pourcentage des téléspectateurs avaient cette perception d’animaux en cage, aucun sponsor ne paierait pour apparaître sur les tenues des combattants, et aucun de ces combattants qui sont pour la plupart des professionnels de la communication n’accepterait cette situation.

Un autre biais d’image qui parasite énormément le discours autour du MMA est la frappe sur un homme à terre. Je me souviens d’échanges animés avec Roger Zabel sur Twitter lors d’une diffusion d’un débat sur le MMA à la télévision. Ce dernier me soutenait que « taper un homme à terre est indigne pour tout homme normalement constitué », point auquel je lui rétorquais que la plupart des arts martiaux enseignaient cela, et que cela ne choquait aucun pratiquant… puisque quand on pratique des arts martiaux, on essaie d’apprendre à se défendre de n’importe quelle position et qu’être au sol présente de nombreuses opportunités de défense face à un homme debout, et qu’en aucun cas c’était une situation de soumission ou d’indignité. Nous sommes donc ici dans un cas de cliché judéo-chrétien, un dogme encore une fois, de la personne qui parce qu’au sol rappelle la bestialité, l’enfance (à 4 pattes), au contraire de la position debout qui est vue comme plus noble. Dans beaucoup de sports de combat, quand l’un des combattants va au sol, le combat s’arrête. Pas en Judo (4e sport national), cela dit. Et en Karaté, sport regardé de près par le CIO pour la prochaine Olympiade à Tokyo en 2020 (sport qui au passage d’ailleurs mérite bien de devenir Olympique), enseigne et incite les combattants à frapper l’adversaire qui chute depuis des décennies puisque sans ce coup porté après la chute, le point n’est pas compté en compétition. Et cela ne pose de problème à personne tout simplement car c’est dans la logique même du combat.

Mais en MMA, allez savoir pourquoi, l’image véhiculée par ces situations ne serait pas la même pour le public…

Le fait d’avoir rapproché les arts de percussions à ceux de projections & de lutte a renforcé ces situations de transition d’une distance à l’autre, et c’est un véritable plus pour les arts du combat, et l’argument de l’image de l’homme frappé à terre semble souvent être un artefact d’argument pour éviter de parler des vraies raisons de l’éviction d’une discipline qui est un raz-de-marée de transformation du monde des arts martiaux & sports de combat :

  • Transformation technique – imaginez, les boxeurs se rendent compte qu’ils sont perdus s’ils tombent au sol et les judoka qu’ils ne savent pas donner un coup de poing
  • Transformation business – on le verra dans la 2e partie, le MMA amène une véritable professionnalisation du secteur et cela fait peur

Une dernière remarque avant de conclure sur cette 1e thématique de l’évolution des arts martiaux et sports de combat : les arts martiaux sont des sports d’intellectuels. Je ne blague pas. Sur les 10 dernières années, l’éditeur Amphora, 1e éditeur de guides pratiques dans le sport, a vendu plus de 300 000 livres dans le domaine des arts martiaux et sports de combat. De la bouche de cet éditeur : « nous avons toujours constaté que ces pratiquants avaient une propension plus forte que la moyenne pour la lecture. En témoigne la production éditoriale dans ce domaine (pas qu’AMPHORA) et l’existence d’éditeurs uniquement spécialisés sur les arts martiaux. » Si l’on zoom sur le MMA, qui n’a pas de compétition en France et très peu de clubs, le livre « Les Fondamentaux du MMA » a été vendu à plus de 6000 exemplaires. Au regard de la « confidentialité » de la pratique, c’est un résultat exceptionnel qui démontre notamment la soif des pratiquants et des enseignants de cette discipline pour le domaine pédagogique.

En tous cas pour conclure sur l’évolution du MMA et sur l’image qu’il dégage, le dernier point à retenir est que pour un produit audiovisuel, comparé aux autres sports de combat que tout le monde connait, le MMA apporte une plus grande variété de techniques, de distances de combat, donc de stratégies & des tactiques et que cela laisse beaucoup plus de liberté aux commentateurs et aux journalistes pour du story-telling élaboré et des éléments de discussion qui apportent plus de réflexion et de valeur à la compétition que dans une discipline réduite à quelques techniques.

 

MMA, c’est aussi un impact économique

Ma seconde partie sera plus synthétique car plus quantitative. Pour mesurer l’impact économique global du MMA, il faut regarder un ensemble d’éléments : les audiences TV (synonymes de revenus publicitaires ou d’abonnement), les droits TV, le sponsoring, les retombées économiques des villes organisatrices d’événements, et de l’écosystème créé par le MMA, notamment le développement des clubs de MMA, avec les opportunités fédérales associées.

L’UFC, qui est le leader incontesté du marché est pris ici comme exemple pour illustrer beaucoup de ces retombées possibles pour la France. Mais le BAMMA, le Bellator, et d’autres circuits sont en développement et contribuent aussi à l’économie globale du MMA.

  • Audiences : l’UFC propose 41 événements par an, son audimat moyen sur Fox Sport est de 2.5M de téléspectateurs (source publique Nielsen 2016). Ramené à la France (au prorata des foyers TV, 116M vs. 27M), cela ferait pas loin de 600k téléspectateurs, soit l’équivalent d’un match de foot OL / AS Monaco en prime-time sur CANAL+… (alors que les chiffres de l’UFC concernent la 2e partie de soirée)
  • Droits TV : Fox Sport paye 90M$ de droits TV par an à l’UFC (précédemment Spike payait 35M$) (source publique). A titre de comparaison, les droits TV d’un très gros match de boxe comme le dernier combat de Pacquiao sont de l’ordre 10M$ aux USA (source publique)… mais des combats comme celui-là, il n’y en a pas plusieurs par an. Si l’on garde la même règle de proportionnalité que pour l’audience (ce qui peut-être discutable, mais cela donne toutefois un élément de comparaison tangible), cela reviendrait à des droits de l’ordre de 18M€ pour la France, ce qui doit correspondre environ à 3 fois plus que le Handball sur BeinSport (source publique). Dans tous les cas, quel que soient les calculs, le MMA a réussi en quelques années à se hisser au même rang que la boxe anglaise historique en termes de droits TV, voire à la dépasser dans la régularité, et à faire mieux que tous les autres sports de combat qui n’arrivent pas à se développer en télévision et à créer des produits regardables et regardés de sport & de divertissement (e.g. The Utlimate Fighter)
  • Sponsoring : le contrat de Reebok avec l’UFC est de 70M$ sur 6 ans (2015-2020), soit 11,67M$ par an (source publique). C’est comme si en France un sponsor mettait 2M€ par an sur un sport… on est déjà dans du sport très professionnel, sans aucun doute. A côté de ce deal, l’UFC a des sponsors locaux qui permettent à des marques locales de s’adosser à leur plateforme (e.g. les pneus Toyo au Japon, Smart communications aux Philippines)
  • Impacts économiques pour les villes organisatrices : en prenant les mesures de retombées d’événements par des sociétés d’études sur les UFC 129, UFC 190, UFC 193 (sources UFC), et quelques articles (notamment celui de UFC 198), on peut évaluer les retombées en emplois saisonniers, en hôtellerie, en restauration, etc. et donc en taxes le pays. A chaque fois, ce sont plusieurs milliers de personnes qui voyagent, et des centaines d’emplois créés (sur l’exemple UFC 198, ce sont 20k spectateurs sur 45k qui viennent d’en dehors de la ville). Un autre impact non négligeable est le développement des clubs de MMA (cf étude sur la ville New York, source UFC). D’ailleurs en France, une fédération de MMA représenterait rapidement plusieurs dizaines de milliers de pratiquants et le développement de nouveaux clubs avec le dynamisme associatif d’une nouvelle discipline
  • Qui sont les fans de MMA : les baromètres du sport en France montrent une affinité entre les fans du MMA et ceux du rugby, et une large surreprésentation de la pratique sportive parmi ces téléspectateurs (comparé aux téléspectateurs d’autres sports à la TV) (source payante). Ce baromètre indique aussi 30% de femmes parmi les fans d’ « arts martiaux & MMA » en France (très similaire au rugby encore une fois), donnée à confirmer par une étude adhoc
  • Les femmes & le MMA à l’écran : exemple de Ronda Rousey, ancienne championne de Judo (médaillée de bronze à Pékin 2008), passée au circuit Strikeforce puis UFC, qui a créé un engouement sur le MMA féminin
  • Les athlètes de MMA français dans les médias : le cas Tom Duquesnoy, 22 ans, communicant, mature, gros potentiel technique, a construit sa carrière à l’étranger et s’entraîne 50% du temps aux USA. La France, nation historique des sports de combat, est en train de perdre sa place, et risque de perdre ce champion et bien d’autres

Quelles recommandations ?
Compte-tenu de :

  • L’évolution technique du MMA qui va clairement dans l’évolution naturelle des arts du combat
  • L’évolution sportive du MMA qui va clairement dans la professionnalisation de l’organisation, de l’accompagnement des champions (sans dopage, sans risque de santé supérieurs à d’autres sports, avec la mise en avant des femmes dans le sport), et l’enjeu géopolitique de maintenir la France sur les podiums des sports de combat
  • L’évolution du MMA en matière de perception par le public (la promotion de la diversité, la promotion de la pratique du sport, la valeur de fair-play, le dépassement de soi, le principe fondamental d’échanges/synergies entre les sports & d’anti-dogmatisme)
  • L’évolution économique du MMA qui pèse des millions d’euros de droits sportifs, de sponsoring, de revenus publicitaires et d’abonnements, de retombées pour les villes organisatrices et les fédérations sportives… des millions aujourd’hui non réalisés et non taxés en France

L’autorisation du MMA en France, en termes d’organisation de compétitions et de diffusion à la télévision française serait une opportunité importante sportive & financière pour la France.
Cette autorisation devrait s’accompagner de :

  • La création d’une fédération délégataire dirigée par une équipe à la fois connaissant bien la discipline sous tous ses aspects (sa genèse, son mécanisme, ses valeurs, etc.) et avec une maturité marketing éprouvée (notamment en termes de sponsoring & de création de produits adaptés pour la télévision / vidéo). Ce point est un facteur clé de succès
  • L’imposition de règles strictes sur le contrôle de santé, et notamment anti-dopage, lors des compétitions
  • Un programme fédéral clair de développement de sportifs de haut niveau français, hommes et femmes, allant combattre dans la plupart des grands tournois internationaux
  • Une surveillance fédérale systématique de l’ensemble des tournois organisés sur le territoire français, dans le but de garder un niveau de sécurité des pratiquants élevé et uniforme sur l’ensemble des compétitions
  • La demande au CSA d’une contrainte horaire sur la diffusion des combats de MMA en 2e partie de soirée, avec un signal « interdit aux moins de 12 ans », et une surveillance particulière des commentaires réalisés sur ces combats, pour rester dans le cadre de commentaires sportifs, techniques, pédagogiques et éviter toute dérive d’incitation à la violence

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