Eric LaulagnetEric Laulagnet pratique les arts martiaux depuis plus de 35 ans. Il  est connu des pratiquants d’arts martiaux français pour ses articles, ouvrages & DVD sur le Kali / Eskrima (arts martiaux philippins) & le Jeet Kune Do (méthode et concepts de combat mise au point par Bruce Lee). Eric est aussi policier depuis plus de 20 ans et a été chef de groupe au RAID pendant plusieurs années. Il est aujourd’hui en fonction aux Philippines où il en profite pour poursuivre ses recherches personnelles dans les FMA (Filipino Martial Arts).

PROTEGOR : Eric, depuis quand es-tu aux Philippines et comment se passe ce long séjour ?
Eric Laulagnet :
Je suis aux Philippines depuis maintenant un peu plus de deux ans et demie (ndlr : fin 2007). Tout se passe pour le mieux, la vie n’y est pas toujours facile, mais reste assez agréable, surtout quand l’on a des passions originaires de ce pays, cela permet des rencontres, des échanges et de amitiés sincères.
Les Philippines sont un pays de contraste, complexe, parfois déconcertant, mais terriblement attachant. Les bidonvilles côtoient des paysages de rêves, la pauvreté et la violence s’opposent à la gentillesse et l’accueil de la population.

PROTEGOR : Et quand nous reviens-tu ?
Eric Laulagnet :
Normalement, si tout va bien, dans un an et demi (ndlr : fin 2011).

PROTEGOR : Qu’as-tu découvert sur la pratique des arts martiaux là-bas ? Qu’est-ce qui t’a surpris au début ?
Eric Laulagnet :
Tout d’abord, il faut préciser qu’aux Philippines rien n’est facile, tout se mérite !
En effet, s’il on débarque ici, pour faire des arts martiaux (entre autres) et que l’on ne connaît personne, ou que personne ne vous a introduit ou donné  des adresses précises (et récentes !!!), vous aurez beaucoup de mal à trouver un professeur (digne de ce nom !) ou un lieu d’entraînement. Ici les écoles d’arts martiaux comme on l’entend en France ou en Europe, n’existent pas ou peu. Il n’y a pas de clubs avec une enseigne visible ou de salles de sport municipales ou privées, en particulier pour les FMA (Kali, Arnis ou Eskrima). En effet, les FMA sont  paradoxalement très peu connus aux Philippines (l’art martial numéro 1 reste de très loin le Tae Kwon Do) et ont  souvent une mauvaise presse (techniques des « pauvres », des voyous et des bagarreurs, emploi des armes blanches…).
De plus, la plupart des Maîtres, souvent issus des milieux défavorisés, restent assez discrets. La recherche d’élèves n’est pas une priorité. Les professeurs restent très méfiants et  veulent en général garder leurs secrets. Car traditionnellement les arts martiaux philippins restent des techniques de SURVIE. On ne va donc pas montrer ou enseigner à des étrangers (dans le sens large du terme) des techniques qui pourraient être  contrées  ou réutilisées par la suite.
Les entraînements sont donc assez durs et assez basiques, axés sur les répétitions des frappes, les déplacements, les exercices développant les sensations et les réflexes. Les techniques proprement dites ne venant  qu’après (un peu la cerise sur le gâteau, pour se faire plaisir !). Les techniques restent directes, efficaces et souvent violentes, tout en étant  sans formalisme, ni rigidité et avec parfois un certain esthétisme.
Le système que j’étudie actuellement, depuis mon arrivée, est le Pekiti Tirsia Kali. C’est un style de la famille Tortal, originaire du Negros Occidental (Visayas) et qui a plus de 112 ans, dont le Grand Maître et dépositaire du style est le Grand Tuhon Leo Tortal Gaje Jr. Ce style est réputé pour son efficacité, particulièrement à courte distance et  son travail avec les armes blanches. Il est actuellement enseigné comme méthode officielle dans les unités spéciales de  l’armée et de  la police philippine.

PROTEGOR : Dans ton métier, tu as eu affaire à des situations très « agressives », et où il fallait maîtriser des personnes dangereuses. De ces expériences, qu’as-tu appris sur le stress et sa gestion ?
Eric Laulagnet :
Dans mon métier, j’ai bien sur fait face à des situations, disons « agressives » et à des personnes très violentes, mais je ne me suis jamais senti en situation de réel stress. En effet  d’une part les opérations se déroulent en équipe ou au minimum à deux, la présence des collègues est à la fois bien sûr réconfortante, chacun prenant soin de l’autre mais aussi émulative, d’autre part dans le métier de policier, on suit des règles des procédures, des lois, on a le sentiment d’être « du bon côté » et cela aide pas mal. Le fait aussi dans les unités spécialisées d’avoir le luxe de pouvoir s’entraîner, d’avoir le niveau physique et des bons équipements, permet de se sentir prêt et de s’adapter aux différentes situations.
Comme vous le voyez, ces notions restent très subjectives et se situent beaucoup au niveau du ressenti et de l’affectif. Elles ne peuvent s’acquérir que par l’entraînement, la confiance en soi et l’expérience.
Paradoxalement, j’ai  ressenti beaucoup plus de stress dans des situations agressives lors de ma vie privés, lors de banales petites altercations, incivilités ou bagarres, on est seul ou alors pire avec des proches qu’il faut protéger (très gros stress !), dans ces cas là, pas de copains, pas de cadre légal, la peur d’y aller trop fort et que cela se retourne contre vous (juridiquement parlant)…

Eric Laulagnet

PROTEGOR : Les arts martiaux philippins donne une place importante aux armes : bâtons, couteaux, dagues… quelle est la législation en vigueur d’ailleurs là-bas ?
Eric Laulagnet :
La législation sur les armes blanches est très proche de la législation française (port interdit), par contre il y a pas mal  de dérogations dans les campagnes pour des raisons culturelles et d’utilisation quotidienne, en effet il n’est pas rare dès que l’on sort des villes de voir les fermiers porter un « bolo », c’est-à-dire une machette à la hanche. C’est d’autant plus remarquable dans les montagnes de la Cordillera dans le nord des Philippines, où les membres de la tribu Ifugao (anciens coupeurs de tête) portent  fièrement dès leur plus jeune âge le Bolo Ifugao.
Les Philippines restent un pays avec une réelle culture de l’arme blanche, chaque région, chaque tribu possède des couteaux ou des sabres de formes et  de dimensions différentes. Ces armes blanches et leur utilisation trouvent bien sur une place prépondérante dans les arts martiaux philippins.
La pratique des armes et les FMA sont indissociables, comme je l’ai dit plus haut, les FMA  traditionnels sont des arts guerriers et de survie, donc logiquement on va d’abord apprendre à se servir des armes que l’on porte, couteau, bolo, une arme contondante et en cas de désarmement, des armes naturelles (pieds poings, genoux, coudes…).

PROTEGOR : Selon toi, quelle place doit avoir la pratique des armes pour une personne qui souhaite simplement apprendre la self-défense ? (et pas un art martial dans son intégralité)
Eric Laulagnet :
La pratique des armes (bien sur celles que l’on peut trouver de nos jours) doit tenir une place importante dans la pratique de la self défense, en particulier les armes blanches. L’apprentissage des techniques de couteau par exemple, permet à la fois de connaître et de comprendre les différentes façons d’utiliser une arme tranchantes mais surtout  d’en appréhender et de visualiser  les dangers afin de vite voir ce qui est possible ou non en cas d’agression. On se défend toujours mieux de quelque chose que l’on connaît. Le travail avec des objets usuels transformés en arme (stylo, lampe, journal roulé…) peut être aussi une part importante de l’entraînement et permet aussi  d’apprendre à d’adapter au terrain et à trouver des objets ou meubles pouvant servir d’arme ou de protection.  Mais quelque soit l’arme, la forme de corps et les réflexes doivent rester les mêmes, c’est l’arme qui doit s’adapter à vous.

PROTEGOR : Quels sont tes EDC (« every day carry ») ?
Eric Laulagnet :
Mon principal et favoris EDC reste ma lampe SureFire E2D Defender, qui peut être bien utile lors des coupures de courant assez fréqentes ici, surtout lors de grosses intempéries (cyclones…) et qui peut être une très bonne arme de défense, de part l’intensité de son flash qui peut déstabiliser un individu pendant quelques secondes et permettre la fuite ou une éventuelle contre attaque avec cette même lampe utilisée comme un pocket stick (yawara), assez efficace grâce à sa tête et à son culot crénelés.
Quand  je sors en dehors de Manille, mon petit sac s’étoffe  bien sur un petit peu plus, mon infatigable Cold Steel Voyager, un Leatherman, de la paracorde et deux trois petits mousquetons et une petite trousse de premier secours adaptée aux tropiques…

PROTEGOR : Lors d’une agression physique, quels conseils pratiques (attitude, position, parole, techniques…) donnerais-tu à nos lecteurs ?
Eric Laulagnet :
Il est très difficile de répondre à cette question. En effet, chacun réagit différemment face à une agression, et peut être selon la situation je ne suivrai pas mes propres conseils. Souvent la logique et le bon sens peuvent remplacer les conseils très théoriques.
Selon les lieux, les moments, un certain état de vigilance peut éviter de se retrouver dans  de mauvaises situations. Il faut se forcer parfois à regarder plus loin que le bout de son nez, analyser les situations et les signaux, ressentir « l’humeur de la foule ambiante », être en adéquation avec le milieu. On appelle cela le « feeling », c’est ce qui permet à un policier de repérer des voyous voulant passer à l’acte grâce à des signaux qu’ils dégagent et dans le sens inverse ce qui permet aux voyous de repérer les flics !

Eric Laulagnet (SAF training)

PROTEGOR : As-tu des conseils d’entraînement ? (rythme, type d’activités)
Eric Laulagnet :
S’il on s’entraîne dans une optique de self défense, il faut en plus de l’entraînement technique et foncier proprement dit faire des mises en situations, des jeux de rôles les plus proches possible de la réalité (avec la présence de meubles, d’objets…),  et qui peuvent être parfois filmés pour pouvoir analyser ses réactions et suivis de debriefing.
Il faut aussi au cours des entraînements, laisser une grosse part au contact avec une intensité  progressive selon les protections employées. Ce contact physique (lors de combat ou de mise en situation, un contre un, deux contre un…), permet de s’habituer à donner et à recevoir des coups. Un coup faisant bien moins mal, psychologiquement parlant, dans la réalité si ce n’est pas le premier que l’on reçoit. Le choc psychologique étant souvent plus violent que la conséquence physique du coup.
Après,  tous les systèmes de self défense, de sports de combat, d’arts martiaux sont bons, si on les pratique sincèrement, sans se cacher la face.  Certaines disciplines restent malgré tout plus adaptées à la self défense , soit parce qu’elle sont entièrement destiné à cela, soit par leur éclectisme technique et leur capacité à travailler dans toutes les distances du combat, avec ou sans armes et bien sur sans limites sportives.
Mais quoi qu’il en soit et quelque que soit la discipline, il y aura toujours une différence entre le combat de rue et l’entraînement en salle.

PROTEGOR : En France, quels clubs de Kali recommandes-tu pour un lecteur qui souhaiterait pratiquer cette discipline dans une approche self-défense ?
Eric Laulagnet :
La pratique du Kali et des arts martiaux philippins reste assez récente en France, d’où un nombre assez restreint de clubs. Il m’est difficile de conseiller des clubs plutôt que d’autres, car le choix reste en réalité très subjectif, pour moi souvent c’est le courant qui passe entre le prof et l’élève qui est le plus important.
Le vécu, la personnalité, l’expérience de l’instructeur sont parfois plus importantes que le nom du système qu’il enseigne, en particulier dans le domaine de la self défense.

Merci Eric !

Info Protegor : pour pratiquer le Kali, vous pouvez par exemple aller ici.